Il y a dix ans (O.M.G.), Katy Perry sortait I Kissed a Girl. Une première chanson qui avait le mérite au moins de parler de filles qui embrassent des filles, mais qui, si tu relis les paroles aujourd’hui, risque de te faire un peu froncer le sourcil gauche. La chanson est en rétrospective très clichée, et finalement quasi-homophobe : embrasser une femme d’accord, mais parce que tu as bu, qu’heureusement tout ceci n’était qu’un rêve, et que tu dors en toute sécurité à côté de ton copain. Ne me lance même pas sur ce « cherry chapstick ». La chanson est plutôt provocatrice qu’autre chose et n’entend pas lancer un grand mouvement de fierté arc-en-ciel.
Mais c’est une chanson dont beaucoup se souviennent tout de même comme un premier moment de représentation. Et voir tes potes super hétéros, sur qui tu avais potentiellement un petit crush, s’égosiller à chanter « j’ai embrassé une fiillleee et j’ai aimé çaaaaa », avoue ça t’a fait plaisir.
Il y a eu depuis un véritable tournant dans l’univers de la pop, car si les artistes queers n’y sont pas nouveaux (loin de là), rares sont ceux.celles dont la musique reflétait leur sexualité. On semble avoir fait un sacré chemin, tant est si bien que certain.e.s ont rebaptisé 2018 « 20GayTeen » (= 2018 = twenty-eighteen = deux-milles-dix-huit – si là si tu n’as toujours pas compris le jeu de mot, je ne peux plus rien faire). Le terme est entré dans le langage « urbain » anglo-saxon et symbolise désormais l’année d’acceptation de son identité.
2018 s’est annoncée comme l’année de consécration de chanteurs queers phares comme Hayley Kiyoko, Troye Sivan, Muna, Halsey, Sam Smith... Pour n’en citer que certain.e.s. Une pop encore en grande majorité anglo-saxonne donc, avec quand même du côté francophone notre Chris (anciennement Christine and the Queens), et ça semble n’être qu’un début.
Une des queens incontestée du mouvement : Hayley Kiyoko – a.k.a « Lesbian Jesus »
L’ascension qui m’a le plus intéressée est celle d’Hayley Kiyoko, que ses fans ont affectueusement baptisée « Lesbian Jesus », et qui est l’une des figures de proue de cette année #20GayTeen. Si tu vis sur la planète queer/Les/Bi-enne, tu as déjà forcément entendu parler de cette petite meuf de 28 ans qui chante sans concession son amour pour la gente féminine. Sinon, tu es sûrement en train de te demander ce que peut bien être cette nouvelle forme de culte.
Aux US, si Hayley a commencé très jeune sa carrière et n’a jamais été véritablement une inconnue, elle a dû travailler TRES dur avant de se faire connaître. Elle fait une première expérience de chanteuse et d’actrice sur le Disney Channel, avant de rejoindre les Stonners, un girl band (qui ne fait pas long feu) qui assure les premières parties de Justin Bieber à ses débuts, et finit par se lancer dans une carrière solo. Mais rien n’y fait, elle ne parvient pas à se faire un nom.
Très anxieuse à l’idée de faire son coming-out dans une industrie où elle pense qu'une femme ne « cherchant pas forcément à être attirante aux yeux des hommes n’a pas sa place », elle décide finalement de ne plus se cacher. Avec l’aide de ses amis et de son agent fraîchement rencontrée et qui croit en elle, elle co-réalise et produit indépendamment un clip sobrement intitulé Girls Like Girls.
Elle parie sur sa différence et sur son authenticité pour exprimer qui elle est par son art, en racontant une histoire qu’elle connaît (dont la violence ne m’apparaît pas forcément nécessaire – mais c’est elle qui raconte l’histoire qu’elle veut après tout). En quelques semaines, le clip atteint le million de vues, alors que sa chaîne YouTube ne comptait auparavant que 9'000 followers... C’est sa « gayness » qui permettra à la carrière de la chanteuse de prendre son envol. Peut-être rendre visible sa différence était-elle une manière de se faire connaître, mais alors quelle merveilleuse époque dans laquelle nous vivons, si vivre au grand jour son orientation sexuelle est symbole de succès.
Depuis, quand Hayley parle d’amour, elle ne parle plus que de femmes. Elle semble avoir été l’une des premières à avoir décidé de dire au monde, et à l’industrie de la musique, « je suis tout simplement gay et donc quelques soit le thème de la chanson je vais chanter sur une fille ». Ses chansons ne parlent pas forcément d’un amour torturé impossible et tabou, mais parlent de cette fille que tu vois en soirée, cette « pote » qui dort dans ton lit, celle avec qui la relation de couple n’est pas simple, celle que tu croises tout simplement dans la rue.
Elle est maintenant à la tête d’un « fandom » gigantesque qui ne cesse de la remercier d’être qui elle est (les commentaires en dessous de ses vidéos valent le détour !).
« Juste notre vie »
La musique, et particulièrement la pop, a toujours été un important vecteur de messages LGBTIQ-friendly. Qui ne s’est pas reconnu.e sur les paroles de Born This Way de Lady Gaga, de Beautiful de Christina Aguilera, ou de Coming Out (un peu sorti de son contexte – mais merci Diana Ross)? Ces chansons nous font du bien, elles sont devenues des emblèmes communautaires dans lesquelles nous nous reconnaissons, qui nous rassemblent et pour beaucoup nous sortent de l’isolement. Bravo à tou.te.s ces artistes qui ont le courage et l’honnêteté de les chanter, qu’ils.elles soient LGBTIQ+ ou allié.e.s. On assiste depuis à encore davantage de représentation positive. Certain.e.s vont plus loin en osant mettre les pronoms indiquant qu’ils.elles parlent d’une histoire entre deux personnes de même sexe, même si ça demeure encore marginal (big up à Strangers d’Halsey - ft Lauren Jauregui, premier hit chanté par deux femmes bi utilisant des pronoms féminins).
On assiste à une reconnaissance de l’amour sous toutes ses formes, par un média qui jusqu’à présent le marginalisait ou l’utilisait comme un moyen commercial ou transgressif.
Hayley Kiyoko se démarque encore là aussi car elle fait partie de ces quelques artistes qui répètent cette visibilité, encore et encore. On assiste à une reconnaissance de l’amour sous toutes ses formes, par un média qui jusqu’à présent le marginalisait ou l’utilisait comme un moyen commercial ou transgressif. Mettre en scène des amours lesbiens dans tous ses clips, qu’elle réalise toujours elle-même, ne pas en faire un « one-off », ce n’est pas du militantisme, ce n’est pas de la provocation, ce n’est pas une phase, c’est juste un nouveau normal. C’est juste une vie. Juste notre vie.
Et quand je dis dans tous ses clips...
Manifestement certain.e.s considèrent cette démarche comme peu innovante. En 2018, alors que Kiyoko s’apprête à sortir What I Need, une épique chanson-road trip en duo avec la chanteuse californienne Kehlani, elle explique qu’elle doit essuyer beaucoup de commentaires de la part de gens de l’industrie, lui reprochant d’encore faire « une vidéo qui met en scène deux filles ».
Elle prend comme exemple Taylor Swift, en disant que si cette dernière n’écrit que sur des hommes, personne ne l’a jamais accusée de ne pas être originale. Swift elle-même est venue défendre Kiyoko en lui donnant absolument raison et dénonçant les « différences de traitement entre les histoires d’amour hétéro et gay ».
Taylor a même fini par l’inviter à la rejoindre sur scène, au moment de son passage à Boston lors de sa nouvelle tournée, pour interpréter en duo la chanson Curious. Les deux chanteuses soulèvent un point important : l’orientation sexuelle ne devrait tout simplement pas être synonyme d’originalité ou de marginalité (un jour peut-être).
« Avec un grand pouvoir, viennent de grandes responsabilités »
Avec tout ça j’ai l’impression tout de même que la musique en tant que telle passe un peu au second plan de nos préoccupations, ce que représentent ces artistes devenant plus important que ce qu’ils.elles produisent. Or en 2018, Kiyoko sort Expectations son premier album (elle ne sort avant ça que des E.P.). Parlons donc musique.
Bon, déjà l’album s’appelle Expectations (« attentes » en français) – plutôt osé et cool. Il est bien construit et a reçu généralement de bonnes critiques, mais n’est pas particulièrement révolutionnaire. Pitchfork, le magazine de critiques musicales par excellence, considère que l’album ne va pas dépasser les « attentes » (attention jeux de mot) de ceux.celles qui l’écoutent, mais il va assez intriguer pour en vouloir un deuxième. Le Gardian et Rolling Stone l’encensent davantage, mais finalement ce sont bien les thèmes, l’univers, l’esthétique et la mise à scène qui semblent être plus salués que l’album. Nous sommes donc très impatient.e.s de découvrir ce qu’Hayley nous réserve pour la suite - la musique étant ultimement ce qui lui permettra de sortir de sa niche d’artiste LGBTIQ+, d’amener cette visibilité dans la pop « mainstream », en parlant à encore davantage de personnes.
Nous avons besoin de cette représentation, que ceux.celles qui disposent d’une voix chantent pour ceux.celles qui n’en ont pas.
Bien sûr, dans un monde parfait, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de ces stars ne devraient pas avoir d’importance. Leur musique, leur art seuls devraient compter. Mais à mon sens nous n’en sommes pas encore là. Nous avons besoin de cette représentation, que ceux.celles qui disposent d’une voix chantent pour ceux.celles qui n’en ont pas, soient fièr.e.s de porter ces couleurs arc-en-ciel et contribuent à porter des messages d’acceptation de soi. Avec un grand pouvoir, viennent de grandes responsabilités. Car comme beaucoup d’autres médias, l’industrie de la musique continue à nous rappeler constamment à l’hétéronormativité.
Je me suis demandée pourquoi ça me rendait si heureuse d’écouter les chansons d’Hayley, alors même que sa musique n’est pas toujours ma tasse de thé. Parce qu’elle parle de ma vie. Parce que quand je prends le tram le matin dans ce Genève un peu conservateur, je me surprends à me sentir moins seule. Et pour ce sentiment, sincèrement, merci.
Dans une interview pour Glamour, Katy Perry a récemment expliqué que si elle devait réécrire I Kissed a Girl aujourd’hui, elle ne raconterait plus du tout la même histoire.
On a progressé. Prenons un moment pour le saluer. En écoutant une petite pop pleine de soleil et d’amours multicolores.