Il y a quelques jours, je geekais sur mon ordinateur et, emprise de nostalgie comme ça mâarrive parfois, je me suis perdue dans dâanciennes conversations Facebook. Jâai relu des vieux messages que jâavais envoyĂ©s Ă lâune de mes meilleures amies dâuniversitĂ©, Ă qui je racontais que je venais de quitter mon copain. La plus longue et plus sĂ©rieuse relation que je nâavais jamais eue. Je lui avouais Ă©galement que jâavais un crush sur mon coloc de lâĂ©poque que je trouvais « sublime » et que je me sentais perdue.
Plus bas dans la conversation, une annĂ©e plus tard prĂ©cisĂ©ment, je lui racontais mâĂȘtre faite « salement larguĂ©e » par mon ex, une fille cette fois, et que jâavais soignĂ© mon petit cĆur brisĂ© en voyant deux mecs et une fille, plus ou moins en mĂȘme temps. Cette phrase mâa faite sourire tant elle mâa semblĂ©e clichĂ©. Etant depuis si longtemps dans une relation sĂ©rieuse et exclusive avec quelquâun, jâavais oubliĂ© Ă quel point jâavais pu ĂȘtre bi, enivrĂ©e de la dĂ©couverte dâun monde que je nâavais pas soupçonnĂ© pendant des annĂ©es.
En lisant la conversation Ă voix haute Ă ma copine, elle sâest tournĂ©e vers moi et mâa demandĂ© trĂšs sĂ©rieusement: « Si je nâĂ©tais pas lĂ , si nous nâĂ©tions pas ensemble, tu crois que tu pourrais retomber amoureuse dâun mec ? ». La vĂ©ritĂ© câest que je me suis retrouvĂ©e incapable de rĂ©pondre Ă cette question. Pourtant en tant que bisexuelle, je devrais pouvoir non ? Je me suis une fois de plus sentie perdue dans mon « label », dans sa limitation Ă pouvoir rĂ©sumer lâimmensitĂ© de la complexitĂ© dâune vie amoureuse, sexuelle et sentimentale.
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Lorsque jâai fait mon coming-out, je me souviens avoir Ă©tĂ© fĂ©rocement bisexuelle
Lorsque jâai fait mon coming-out, je me souviens avoir Ă©tĂ© fĂ©rocement bisexuelle. Quand je parlais de ma copine Ă mes ami·e·s, et quâils·elles avaient le malheur dâutiliser le mot « lesbienne » pour me dĂ©finir, mĂȘme si câĂ©tait pour blaguer, je les reprenais. Sans cesse, tou·te·s, sans exception, y compris ma famille et mes parents. Cette identitĂ© sonnait comme faux, elle ne me reflĂ©tait pas. Le terme « bi » a fini par sâimposer comme un entre-deux acceptable, mais sans grande conviction pour autant. Jâai toujours Ă©tĂ© persuadĂ©e que je devais en choisir un en tout cas, et que cette identitĂ© me dĂ©finirait de maniĂšre presque dĂ©finitive, aussi bien pour mon coming-in, que lorsque je ferai mes multiples coming-outs, pour que les gens puissent mettre un mot sur qui jâĂ©tais. JâĂ©tais bisexuelle, jâĂ©tais bi-romantique et je me sentais incomprise par les gens qui associaient mes relations avec des filles Ă un coming-out lesbien, comme si ça niait aussi toutes mes prĂ©cĂ©dentes relations, tous ces hommes que jâavais pu dĂ©sirer et aimer.
Je me suis rapidement rendue compte que je mâĂ©tais en fait toujours sentie invisible dans mon orientation sexuelle et que cette invisibilitĂ© me donnait envie de la crier sur tous les toits. Car peu importe la personne avec qui jâavais pu ĂȘtre, je nâĂ©tais jamais bi aux yeux des autres, ou mĂȘme des miens parfois. Lorsque je sortais avec des garçons, câĂ©tait comme si cette partie de moi disparaissait, ce qui me rendait malheureuse comme un vieux caillou. Ce nâĂ©tait bien sĂ»r pas de leur faute, mais ils nâavaient pas la mĂȘme culture, pas la mĂȘme attention Ă cette rĂ©alitĂ©, Ă cette partie de la sociĂ©tĂ©. Je me retrouvais Ă mentir sur les films que je voulais regarder, sur les soirĂ©es auxquelles je voulais aller, sur les personnes Ă qui je parlais mĂȘme parfois.
De la mĂȘme maniĂšre, lorsque je tiens la main de ma copine dans la rue aujourdâhui, je deviens automatiquement lesbienne. Certaines personnes dâailleurs questionnent encore la maniĂšre dont je me dĂ©finis. Une amie lesbienne mâa trĂšs sĂ©rieusement demandĂ© un jour « mais pourquoi est-ce que tu ne dis pas tout simplement que tu es lesbienne, tu vas te marier avec une femme !». Mais parce que je suis toujours bi ! MĂȘme quand jâai lâair dâĂȘtre la nana la plus gay du monde, en couple avec ma copine depuis des annĂ©es. Câest comme sâil fallait ĂȘtre « pratiquant·e » pour ĂȘtre un·e « vrai·e » bisexuel·le, et donc cĂ©libataire ou en couple ouvert, avec un quota par mois de « choppes » nĂ©cessaires de personnes des deux genres, sinon on perd sa carte de membre.
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Câest comme si on en voulait aux bisexuel·le·s de nâaimer que deux genres, plutĂŽt quâun seul ou tous
Jâai dĂ» apprendre aussi parfois Ă dĂ©fendre cette identitĂ© bisexuelle, aussi bien auprĂšs de la communautĂ© LGBTIQ que de personnes hĂ©tĂ©ros, avec tous les clichĂ©s quâon projetait sur moi. Jâai rapidement pris conscience que les bi nâĂ©taient pas trĂšs bien perçu·e·s. Et quand je dis, pas trĂšs bien perçu·e·s, je veux dire ont une rĂ©putation vraiment toute pourrie. Et cette mĂ©fiance, voir mĂȘme parfois cette haine, vient de tous les cĂŽtĂ©s de lâarc-en-ciel.
Ainsi, la bisexualitĂ© pour beaucoup dâentre eux·elles ne serait quâune phase, avant de sâavouer Ă soi-mĂȘme (et Ă ses parents souvent car le coming-out bi serait un coming-out « facile ») quâen fait on est tout simplement gay. Ou Ă lâinverse que câest une phase dâhĂ©tĂ©ro qui sâennuie et expĂ©rimente. Et je dois bien avouer que jâai eu cette incertitude, alors que jâoscillais sexuellement et sentimentalement entre hommes et femmes.
Les mecs, lorsque je leur disais que j'Ă©tais bi, trouvaient la plupart du temps que câĂ©tait formidablement exotique et Ă©rotique de penser que je puisse ĂȘtre aussi avec des femmes. Leurs rĂ©actions allaient du sympathique et sincĂšre intĂ©rĂȘt, Ă la fascination franchement lourdingue, comme si je venais de leur proposer un plan Ă trois torride.
Encore pire, des gens se sont permis de dire Ă ma copine de se mĂ©fier de tout le monde, que techniquement je pourrais la quitter pour 100% de la population (mais quel succĂšs ma parole!). Que je la tromperais sĂ»rement. Quâil serait naturel que je sois une personne Ă©ternellement et chroniquement insatisfaite. Que je finirais par retourner avec un garçon lorsque je voudrais une relation sĂ©rieuse, une famille, 2.5 gamin·e·s.
Mais dans un autre registre, je me suis aussi retrouvĂ©e Ă devoir expliquer que me dire bisexuelle nâĂ©tait pas une identitĂ© has-been, niant la multiplicitĂ© du genre. La bisexualitĂ© sâest rĂ©cemment retrouvĂ©e en porte-Ă -faux des Ă©tudes genre, accusĂ©e de nâĂȘtre quâune reproduction de la binaritĂ© de notre sociĂ©tĂ©, qui ne considĂšre que deux genres, hommes ou femmes. Jâavais lâimpression que certain·e·s mâaccusaient de nâĂȘtre quâune pansexuelle fermĂ©e dâesprit. Pourtant, je ne choisissais pas mes attractions pour des gens au genre plutĂŽt affirmĂ©, quâils·elles soient hommes ou femmes, trans ou cis. Mais pourquoi Ă©tait-ce soudain plus insultant que de nâĂȘtre attirĂ©e que par un seul genre, comme peuvent lâĂȘtre hĂ©tĂ©ros et homos par exemple ? Câest comme si on en voulait aux bisexuel·le·s de nâaimer que deux genres, plutĂŽt quâun ou tous. Toujours dans lâentre-deux, toujours dans lâinconsistance.
Jâai mis tellement de temps Ă me sentir bien dans mon label, Ă ce que nous nous apprivoisions, ma bisexualitĂ© et moi. A comprendre que ma maniĂšre de vivre et dâaimer nâavait pas Ă ĂȘtre exactement comme les autres personnes qui pourraient sâidentifier comme bisexuelles et/ou bi-romantiques. Que mon attraction et mes sentiments nâavaient bien sĂ»r pas Ă ĂȘtre 50/50, ne concernaient que quelques personnes ici et lĂ , et quâil se trouvait que parfois ça avait Ă©tĂ© des hommes et parfois des femmes.
Jâai mis tellement de temps Ă accepter que les gens que je connaisse, ou non, se trompent lorsquâils parlent de moi. Et ils se trompent encore dans la majoritĂ© des cas, car Ă ce jour, je ne fais presque plus jamais mon coming-out en tant que bi, mais en tant que personne en couple avec une femme. Je ne parle plus vraiment dâune orientation sexuelle ou romantique, ni dâun label, mais dâune relation. Je ne les reprends plus quand ils se trompent, car finalement ça nâa plus autant dâimportance. Une sorte dâapaisement est venue avec une certitude inĂ©branlable, celle que je suis tout simplement moi.
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Un label nâest quâun label; il ne peut pas reprĂ©senter toute une vie de rencontres, dâattraction, de dĂ©sir, de crush de soirĂ©e, de gestes dâamour et de papillons dans le ventre
Ces labels ne devraient pas nous enfermer. Ils nous donnent un incroyable sentiment dâappartenance, dâidentitĂ© et de fiertĂ©. Ils nous aident Ă nous identifier Ă une communautĂ©, dans une sociĂ©tĂ© qui ne laisse que trĂšs peu de place Ă celles·ceux qui vivent en marge. Mais un label nâest quâun label. Il ne peut pas reprĂ©senter toute une vie de rencontres, dâattraction, de dĂ©sir, de « crush » de soirĂ©e, de gestes dâamour et de papillons dans le ventre.
Je crois que, pendant un moment, jâavais oubliĂ©. OubliĂ© que nous avons tou·te·s le droit dâĂ©voluer en dehors de nos labels, que nous nous sommes attribué·e·s ou que les autres projettent sur nous. Que nous sommes des ĂȘtres libres, dont les sentiments ne peuvent ĂȘtre enfermĂ©s dans des catĂ©gories prĂ©dĂ©finies, qui dâailleurs ne cessent de grandir, tant nous sommes multiples et ne cessons dâĂ©voluer. Que nous ne trahissons personne, lorsque nos cĆurs et nos esprits nous intiment de simplement ĂȘtre nous-mĂȘmes.
Nâai-je pas Ă©voluĂ© dans mon rapport Ă mon identitĂ© ? Dans ma perception du genre, des rĂŽles dans un couple, dans ma perception de ma propre sexualitĂ© ? Etre attirĂ©e, tomber amoureuse, vivre ma plus belle histoire avec une femme. Tout cela mâa changĂ©e de maniĂšre inexorable et a bouleversĂ© ma vision du couple dans cette sociĂ©tĂ© hĂ©tĂ©ronormative. Je me suis retrouvĂ©e Ă pouvoir partager la mĂȘme rĂ©alitĂ© que quelquâun, la mĂȘme histoire parfois difficile de coming-out. Jâai partagĂ© une culture commune et la comprĂ©hension dâun vĂ©cu similaire. Jâai eu enfin le sentiment que quelquâun me comprenait, acceptait cette partie de moi que jâavais cachĂ©e pendant si longtemps.
Je suis la mĂȘme personne qui suis tombĂ©e amoureuse de mon premier copain quand jâavais 17 ans, et qui vais Ă©pouser ma copine dans deux mois. Mais jâai dĂ©sormais grandi dans cette communautĂ©, jâai vĂ©cu cette discrimination parfois, cet isolement qui vient avec la diffĂ©rence et la force du rassemblement de quelques personnes avec un esprit ouvert qui veulent changer le monde. Jâai vĂ©cu la marge et lâincroyable libertĂ© qui accompagne la non-conformitĂ©.
Et mes relations amoureuses, puissent elles ĂȘtre avec des femmes ou avec des hommes, ne pourront que le reflĂ©ter.
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