Lorsque des personnes peu ou pas initiées à l’art drag queen me rencontrent dans toute la splendeur de mon personnage que je nomme Elyssa Fleur, une question revient sans cesse de manière consciente ou inconsciente, verbalisée ou non verbalisée :
Est-ce que tu es un homme, ou est-ce que tu es une femme ?
T’es un mec ou une meuf ?
T’es un garçon ou une fille ?
Pourquoi cette question? Pourquoi est-ce si important de savoir ce qu’il se trouve entre mes jambes ? Spoiler alert : Parce que nous avons besoin de cette information pour savoir comment nous comporter socialement avec cette personne, c’est-à-dire, si nous devons la discriminer ou non.
Pourquoi est-ce si important de savoir ce qu’il se trouve entre mes jambes?
Je m’explique.
Je n’ai pris conscience de ma non-binarité que récemment. Avant cela, je vivais en tant qu’homme cisgenre[2]. C’est-à-dire que je ne recevais pas de “Hey ! C’est combien ?” dans la rue. Je ne recevais pas de commentaire sexiste de la part mon entourage professionnel. Personne ne réduisait mes compétences à mon cul et mes seins. Personne ne me coupait systématiquement la parole parce que je suis une femme. Mais aussi, je n’avais pas en moyenne un salaire 7 à 18% plus bas qu’un homme[3], trois chances sur quatre d’être harcelé.e dans la rue au cours d’une année[4]. Je n’avais pas une chance sur cinq de subir des violences sexuelles[5], ni ne risquais d’être tué.e par mon conjoint toutes les deux à trois semaines[6].
Mes yeux se sont réellement ouverts il y quelques années, lorsque j’ai débuté dans l’art et la scénographie drag queen. En tant qu’Elyssa, j’avais droit à des “Hey ! Mademoiselle !” (Je l’ai vraiment eu, ce n’est pas un cliché), des hommes qui ont osé me mettre la main au cul sans mon consentement... Mais aussi, parmi les personnes qui étaient assez intelligentes pour remarquer qu’il est fort probable que je ne sois pas une femme cisgenre, je créais un flou difficile à définir dans ce monde binaire homme/femme. D’où cette question si “importante”, pourtant si déplacée et intrusive, de savoir absolument tout sur mon anatomie phallique et/ou vaginale.
je créais un flou difficile à définir dans ce monde binaire homme/femme
Subitement, lorsque j’enlevais mon maquillage (beaucoup de lingettes démaquillantes et de soulagement après avoir transpiré dessous durant toute une soirée), personne ne me coupait la parole, personne ne faisait de commentaire sur mon physique, personne ne me criait dans la rue et personne ne me demandait T’AS UNE BITE OU PAS ?! Parce que oui, c’est inculqué depuis notre plus jeune âge: t’as pas de bite, donc tu es cet être inférieur que l’on appelle femme. Tu es né avec une bite : bravo ! Tu as gagné à la loterie du sexisme !
Résumons : Il a fallu que je passe trois heures à me maquiller, que je mette une perruque avec des épingles qui me rentrent dans la tête, des faux-cils qui m’empêchent de voir à trois mètres, des talons qui bousillent mes pieds et des fausses hanches qui me scient la taille… Pour qu’ENFIN je puisse prendre acte du sexisme ambiant. Et encore, comprendre est un bien grand mot. En effet, je ne pourrai jamais comprendre entièrement ce que les femmes vivent tous les jours; je ne suis pas à leur place.
Il a fallu que je passe trois heures à me maquiller, que je mette une perruque avec des épingles qui me rentrent dans la tête [...] Pour qu’ENFIN je puisse prendre acte du sexisme ambiant.
Conclusion : Nous avons besoin de connaître le genre de cette personne pour pouvoir définir comment nous allons interagir avec elle et quelles discriminations nous allons lui appliquer. Discriminations qui peuvent être très simples comme systématiquement ne pas croire ce qu’une femme dit, ou la tuer.
Pour être honnête, j’ai menti plus haut dans cet article et dans le titre de celui-ci. (Hahaha, je vous ai bien eu. Lol.) Ce n’est pas l’art drag queen qui m’a fait découvrir le sexisme. C’est mon écoute, mes observations, mon envie d’apprendre et mon ouverture d’esprit qui font qu'aujourd'hui je suis féministe. L’art drag n’était qu’un moyen comme un autre pour y arriver. Alors s’il-vous-plaît, taisez-vous et écoutez ce que les femmes ont à vous dire. Pour qu’enfin, un jour, ON ARRÊTE DE NOUS DEMANDER S’IL Y A UN PÉNIS OU PAS ENTRE NOS JAMBES, BORDEL!
A bon entendeur, salut!
Elyssa Fleur.
Merci à Loris d’Albenzio et à Anthéa Needles pour leur relecture.
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Notes
[1] Les termes non-binaire et genderqueer désignent les personnes dont l'identité de genre ne s'inscrit pas dans la norme binaire, c'est-à-dire qu'elles ne se ressentent ni hommes, ni femmes, estimant être entre les deux, un « mélange » des deux, ou aucun des deux.
Ressource supplémentaire.
[2] Le cisgenre est un type d'identité de genre où le genre ressenti d'une personne correspond à son sexe biologique, assigné à sa naissance.
Ressource supplémentaire.
[3] Office fédéral de la statistique : lire le document ici.
[4] Article Le Temps : lire ici.
[5] Article RTS info : lire ici.
[6] Article Le Temps : lire ici.