Depuis 2014, Tatiana nous parle de cunnilingus, de libertinage, teste des sextoys et de la lingerie sur DesCulottees.com, un média féministe visant à empower ses lecteur·rice·s dans leur sexualité. En six ans, son terrain de jeu, l'espace numérique, a radicalement changé tandis que la société a connu quelques révolutions, comme le mouvement historique #Metoo qui a aidé Tatiana dans son cheminement féministe. Elle nous dit tout sur son parcours entrepreneurial et l'importance de faire grandir et comprendre votre communauté.
Salut Tatiana ! Te fais-tu toujours appeler “Lady Shagass” ? Ou “Lady Shag” pour les intimes ?
Lady Shag pour les intimes (rires) ou Tatiana ça marche très bien aussi ! J’essaye un peu de faire oublier Lady Shagass mais ce n’est pas facile, les gens sont assez attachés à ce pseudo ! C’est aussi difficile à changer car c’est le nom du compte sur Twitter, là où j’ai ma plus grosse communauté. Je laisse donc les gens m’appeler comme ils le préfèrent, mais de plus en plus ma communauté me contacte avec des “Salut Tatiana”.
D’où te vient donc ce blaz et pourquoi veux-tu tuer cet alter égo ?
Cela me vient d’un surnom que j’avais à l’école au CELSA, dès le week-end d’intégration, tous les nouveaux étudiants devaient piocher un surnom. Je suis tombée sur Shagass et ça m’est resté durant toute ma scolarité, tout le monde m’appelait comme ça... Quand j’ai créé le blog Desculottées, je me suis dit que Lady Shagass serait très bien. On m’avait expliqué que cela signifiait plus ou moins “salope” dans le Sud de la France, ce que je ne savais pas mais je trouvais que ça sonnait bien. Au début j’ai uniquement utilisé ce pseudo plutôt que mon vrai nom car je voulais rester anonyme sur le blog, je ne savais pas quelle visée lui donner, s’il resterait un espace plutôt informel pour mon plaisir ou si j’allais amener ça dans une autre direction, tout cela dans un contexte où, en 2014, parler de sexualité était plus rare qu’aujourd’hui. Je l’incarne maintenant depuis assez longtemps, mon blog est sur mon CV, mes anciens collègues connaissent tous Desculottées et j’ai moins de problème à l’incarner désormais sous mon vrai prénom Tatiana.
Cela ne doit pas toujours être facile à amener en entretien pro j’imagine, je me suis aussi souvent demandé si ta famille te lisait malgré des sujets peu familiaux...
Au lancement du blog, j’assumais mon blog sans problème auprès de mes potes, en revanche je ne l’ai pas dit tout de suite à ma famille, cela a mis quatre ans ! Il a fallu attendre d’avoir pas mal d’événements, de partenariats, que l’aventure devienne plus importante avec une communauté grandissante et me rende vraiment fière. Je voyais aussi que les gens autour comprenaient ma démarche, je n’étais pas perçue comme une créatrice de contenus pornographiques par exemple.
Le déclic s’est fait lors de mon passage à Canal+ en 2018, j’ai alors annoncé à ma mère que le petit média dont je lui avais vaguement parlé m’avait ouvert les portes pour intervenir comme référente Féminisme et Sexualité dans l’émission Crac Crac. Il y avait peu de chances qu’elle me voie n’étant pas abonnée à Canal+, mais je ne pouvais pas lui cacher le passage télé ! Je savais qu’elle serait fière que je sois invitée en tant qu’experte sur un sujet à la télé, même si ça parle un peu de cul dedans. En revanche mes soeurs le savaient déjà depuis un bout de temps !
Cette année, dans le cadre du programme de l’incubateur BØWIE, nous avons sélectionné Sarah et son projet Décharge, un podcast sous le format d’interviews axées autour du thème du Déclic féministe de ses interlocuteur·rice·s. Je lui emprunte sa démarche, le temps de cette question, pour te demander ce qui, chez toi, a déclenché ton engagement féministe et sur ta sexualité (si tu as envie d’en parler!)?
C’est marrant car au lancement, je ne me voyais pas du tout comme un média féministe ! Ce n’était pas du tout un terme dont on parlait; en 2014, le féminisme m’évoquait les années 70, je pensais presque que ça n’existait plus, qu’on en avait plus besoin ! J’ai simplement lancé un média sur la sexualité, j’étais effectivement dans une démarche hyper féministe mais ce n’était pas du tout le terme que je mettais dessus, ni sur moi-même. Je voulais empower les femmes, qu’on trouve ça normal que les femmes aient une sexualité assumée. Le déclic a clairement été #Balancetonporc et #Metoo. Il y a plein de choses dont je n’avais pas forcément conscience en termes de souffrance chez les autres femmes qui m’a éclaté dans la gueule comme chez tout le monde. Je me suis rendue compte, avec toutes ces femmes qui commençaient à parler de leurs problématiques sexuelles, que ce que je faisais s’inscrivait dans ce mouvement et j’ai commencé à m’approprier le terme de féministe et à estimer que j’appartenais à cette mouvance. C’est comme ça que je suis passée du blog sur la sexualité au média féministe dédié à la sexualité.
Concernant ma sexualité et l’envie d’en parler, cela est venu assez tôt, dès mon adolescence. J’ai toujours été assez libérée et je n’ai jamais vraiment vécu les problématiques soulevées par #Balancetonporc et #Metoo, de traumatisme ou de violence dans mon rapport à la sexualité et avec les mecs (visiblement j’ai eu de la chance). Je peux me reconnaître dans certaines situations, des sifflements dans la rue par exemple, des mains au cul non désirées, mais je n’ai jamais eu de grosse souffrance liée à ça, qui puisse avoir des impacts négatifs sur ma perception de moi ou sur ma sexualité. J’ai toujours eu une sexualité très positive et hyper assumée, sans me soucier vraiment de l’image que ça colportait sur moi. J’ai souvent vu que cela sortait complètement des normes, aussi bien quand j’en parlais avec des copines ou en voyant les réactions de mecs que je fréquentais . Et ça été ça le déclic qui m’a donné envie d’en parler : me sentir aussi décalée sur un sujet qui mesemblait aussi basique et normal que d’aimer le cul !
Depuis ce déclic, comment le projet s’est-il construit pour arriver à ce qu’il est aujourd’hui, un média complet avec diverses catégories, un shop et une communauté autour du projet ?
Lorsque j’étais étudiante en Communication Web, j’ai fait un mémoire sur le porno qui interrogeait la manière dont sa gratuité influençait l’industrie dans sa globalité et si elle constituait une opportunité ou un fléau. J’étais une des premières à faire un travail sur ce sujet et je suis un peu devenue l’animation de l’école. Des gens que je ne connaissais pas m’arrêtaient pour me demander “AhShagass tu fais un mémoire sur le porno?”. Ce sont aussi ces réactions là qui m’ont donné envie de créer Desculottées. Je me suis dit qu’il devait bien y avoir d’autres nanas comme moi, que je ne pouvais pas être un OVNI ! Mon idée initiale était donc de donner la parole à ses femmes-là. Au départ je ne comptais pas écrire d’articles, ce que je voulais c’était lancer un site de témoignages.
J’ai donc commencé à en parler avec mes copines qui étaient les plus ouvertes, avec lesquelles on parlait souvent de sexualité. Tout le monde me disait "ouais ouais" mais personne ne m’envoyait rien tu vois, si bien que je me suis dite que pour commencer, il fallait que j’ouvre moi-même la voie. Je ne me souviens plus du tout de quoi traitait mon premier article mais j’ai commencé à écrire un, puis deux, puis trois articles et, finalement, l’un d’entre eux, sur le cunnilingus, a particulièrement bien marché, j’ai reçu des retours très positifs. Sur ce, je me suis lancée sur Twitter et c’est là où le blog a pu grandir, en étant repéré par d’autres blogs Sexo qui existaient, qui me retweetaient et échangeaient avec moi.
Au départ je ne voulais m’adresser qu’aux femmes, j’étais une nana qui voulait décomplexer ses lectrices, dire qu’on peut briser les tabous, qu’il n’y a pas de gêne à parler de fellation et ce genre de sujet. Mais très vite, en regardant mes statistiques et les emails que je recevais, je me suis rendue compte que j’avais 50% de femmes et 50% d’hommes qui me lisaient, avec des hommes assez actifs mais pas du tout dans un truc où je recevais des dick pics (je les compte sur une seule main depuis 6 ans) ou des demande de photos de moi. J’ai d’ailleurs choisi volontairement de ne pas mettre de photos de moi sur le site, de ne pas me mettre en scène, d’où aussi le pseudo de Lady Shagass car je ne voulais pas qu’il y ait une projection sexuelle sur une personne mais qu’on s’intéresse au texte. Depuis, il peut m’arriver de me montrer en story, sur quelques posts Instagram ou des tests lingeries, mais cela reste rare et surtout la mise en scène n’est tellement pas le sujet que je ne reçois pas de réactions hostiles. J’ai aussi adapté mon contenu à mon lectorat plus masculin que prévu à la base, en le rendant plus inclusif. On utilise d’ailleurs le langage inclusif, je mentionne toujours mes lecteurs et lectrices, c’est une chose à laquelle je fais attention. Je me suis toujours très bien entendue avec les mecs en général dans ma vie (souvent plus qu’avec les femmes) et je les comprends assez bien, donc je crois avoir trouvé le bon ton pour m’adresser à eux aussi.
Les catégories sont nées au fur et mesure dans un souci d’organisation, un peu au feeling. Au début j’écrivais sur ce qui me venait en tête, par exemple sur les règles et d’autres sujets santé et sexo. J’ai ensuite fait pas mal d’interviews, ce qui m’a amené à créer une rubrique dédiée et quand on a commencé à avoir des partenaires, j’ai créé la rubrique "Tests". Aujourd’hui, je ferais peut-être les choses différemment, l’époque aussi a changé, je n’avais pas anticipé une ergonomie particulière, la forme est plutôt née instinctivement au fur et à mesure, en fonction de ce qui marchait ou pas.
Comment tu perçois l’impact que tu peux avoir auprès des gens qui te lisent et qui te suivent ?
Les commentaires sur le site ou les messages privés font toujours super plaisir ! Peu de personnes me disent que j’ai changé leur vie, mais elles me remercient d’avoir abordé avec sincérité et profondeur certains sujets qui sont d’habitude peu traités ou alors le sont de manière stéréotypée.
J’avais par exemple fait un article sur la sexualité après 40 ans, nourri d’une soixantaine de témoignages et qui allait complètement à contre-courant de l’idée d’une sexualité active seulement quand on a 20 ans. On voit que la plupart des personnes interrogées ont en fait une sexualité hyperactive, que beaucoup disent que c’est bien mieux que lorsqu’ils avaient vingt ans, que c’est plus libéré. Sur ce genre d’articles on reçoit beaucoup de réactions positives, on montre enfin que les gens continuent d’avoir une sexualité, que ce n’est pas parce que les médias ne mettent que des ados dans les séries etc, que les plus vieux-vieilles n’ont pas de sexualité ! Au sujet de la sexualité, tout a déjà été dit, et à la fois rien n’est dit. J’essaie toujours de trouver un angle original et des sujets qui sont souvent stéréotypés. Les articles qui parlent BDSM ou pratiques libertines marchent très bien par exemple.
J’ai aussi des réactions de personnes qui sont décomplexées, rassurées de lire que leur fantasmes sont normaux alors qu’ils sont diabolisés ailleurs. Je me souviens par exemple d’une de mes lectrices avec laquelle j’avais échangé pendant plusieurs semaines qui était infidèle. Son infidélité n’était pas due au fait qu’elle n’aimait plus son mari mais plutôt que cela faisait vingt ans qu’elle était avec et que depuis vingt ans leur sexualité était un peu la même et qu’elle n’avait connu que lui dans sa vie. Elle a pu témoigner en anonyme dans un de mes articles et d’autres femmes vivant cette situation m’ont ensuite remerciée, fatiguées qu’on fasse toujours passer les infidèles pour des salopes... Alors que les choses sont plus complexes que ça : au final, le fait de tromper leur mari relance même parfois du désir pour eux et dans le couple !
Il y a maintenant toute une communauté autour de toi, ce qui n’était pas l’idée du début j’imagine. Même si tu imaginais des témoignages, en 2014, on ne parlait guère de communauté à l’époque. Comment s’est-elle construite et comment cela nourrit aujourd’hui ton projet?
Je me suis un peu laissée surprendre ! La communauté est d’abord née sur Twitter, c’est toujours là où j’ai le plus de followers aujourd’hui et elle a beaucoup grandi grâce aux autres blogs sexo et j’imagine grâce à mon ton qui m’a permis de me différencier !
Je ne sais pas si cela se passe toujours comme ça, mais la communauté Sexo était très petite, nous nous connaissions tous ! Tout le monde avait une volonté bienveillante, faisait ça purement bénévolement, sans “ego-trip”, avec beaucoup d’entraide et beaucoup sont devenus des ami.e.s ! J’ai participé à un maximum d'événements à Paris d’abord pour nourrir mon inspiration et m'informer; j’arrivais seule avec mon expérience personnelle de la sexualité et d’un seul coup je découvrais un monde que je ne connaissais pas, des évènements libertins, des bloggeurs.euses qui avaient une autre vision des choses. C’est par ce réseau et en osant prendre la parole que j’ai pu me créer ma communauté.
Quand tu commences à grossir, que tu commences à avoir des partenariats avec des marques, et surtout que ça te prend beaucoup de temps, tu commences à t’interroger sur l’aspect financier et à repenser un peu les choses. Le plus difficile pour moi depuis au moins deux ans est de faire la bascule entre une activité bénévole qui n’était qu’un hobby à côté de ma vie professionnelle, et un projet rentable. Je n’avais pas anticipé ce désir-là, ce n’était pas ma volonté au départ et j’ai beaucoup de mal à faire certains choix qui me donneraient l’impression de trahir mon intention debase, c’est un peu complexe !
Tu as quand même avancé vers la professionnalisation, notamment en engageant des contributrices sur ton projet. Comment est-ce que tu vois les choses pour la suite ?
Depuis un an je suis à mon compte et je me consacre à 100% à mon projet, mais auparavant je travaillais à côté à plein temps. Juste avant cela, les stats ont explosé, entre autres raisons grâce à mon passage télé. Malgré mon boulot très prenant, j’ai commencé à avoir plus d’ambition pour Desculottées, à le vivre vraiment comme un réel engagement de vie, et à me demander comment en vivre financièrement. Avec l’aide d’une collègue, j’ai posté une annonce sur un groupe Facebook et dès le lendemain j’avais quatre propositions de nanas que j’ai rapidement rencontré et qui sont devenues des contributrices, puis un peu plus tard une illustratrice a souhaité contribuer également.
Je commence maintenant à avoir des revenus publicitaires via les bannières et l’affiliation : lorsqu’on fait un test, on met toujours un lien vers le produit et il y a une commission sur les ventes. Je précise cependant que nos tests sont toujours véridiques : si un produit est nul, dangereux, trop cher pour ce qu’il est, on le dit. J’ai aussi un shop en dropshipping, un système qui automatise toute la gestion des ventes; je n’ai qu’à personnaliser quelques éléments et il y a une commission sur les ventes. Enfin, il y a très rarement des articles sponsorisés pour lesquels des marques me rémunèrent et qui payent bien en one-shot, mais les propositions sont peu présentes et pas toujours sur des sujets pertinents pour l’audience. J’essaie ainsi de trouver des axes financiers en trouvant un bon équilibre pour ne pas perdre l’âme du site, que les articles restent pertinents et les produits promus soient toujours de qualité.
Ces revenus sont une reconnaissance très agréable, même si c’est encore loin de pouvoir payer un SMIC, c’est un bon début et de mieux en mieux. Je n’ai pas vraiment besoin de faire du démarchage, mais l’une des difficultés est que beaucoup de marques veulent des articles gratuitement, dès que tu leur annonces ton tarif, tu n’as plus de réponse au mail (rires). La taille de ta communauté compte aussi bien sûr, peut-être que certaines marques estiment que les chiffres du site ne sont pas encore assez élevés. La “concurrence” s’est récemment hyper accrue avec plein de nouvelles actrices et de nouveaux acteurs sur le marché Sexo par rapport à il y a six ans, avec de très grosses communautés.
Une dernière difficulté que je rencontre, comme tous-tes les autres, c’est que dans le domaine du Sexo, tu ne peux pas faire de publicité sur Facebook ou Google ads. D’ailleurs Twitter m’a complètement bannie de son système publicitaire. Tous mes contenus sont assimilés à de la pornographie, tu ne peux donc pas investir que ce soit 10 ou 100 euros pour faire de la pub ciblée, c’est même très risqué car ton compte peut être tout bonnement censuré. C’est une problématique supplémentaire par rapport à un blog Food ou Tech, pour accroître ton audience et mieux “vendre” ton travail.
Je pense effectivement à la récente censure de la Une de Télérama avec Barbara Butch sur Insta ou la démonétisation des contenus LGBTIQ+ sur Youtube qui avait fait un peu de bruit dans la communauté il y a quelques années...
Oui même certaines vidéos sur les règles ont été démonétisées ! C’est vraiment rageant car tu essayes de créer du contenu informatif et tes publicités sur la santé sexuelle sont interdites alors que quand tu tapais lesbienne sur Google jusqu’à il y a peu, c’étaient d’abord des contenus porno qui remontaient! Dernièrement une grosse conférence en ligne aux US sur la Sextech a dû trouver à la dernière minute une plateforme d’hébergement pour leur événement car Youtube les a censuré !
J’ai malgré tout cette impression que la sexualité est devenue un sujet beaucoup plus accessible et populaire en quelques années; tu mentionnais aussi au début de notre entretien le mouvement #Metoo mais j’ai pour ma part la perception que cela a commencé encore un peu avant... Comment de ton côté tu expliques cet engouement pour les thématiques du corps et de la sexualité?
En 2017, tu as #Metoo et le clitoris a enfin été représenté dans un livre scolaire de Sciences et Vie de la Terre; jusqu’à présent il avait toujours été camouflé ! Il y a maintenant des représentations en 3D du clitoris, ce qui n’existait pas du tout quand j’ai démarré le blog. Il y a eu ainsi toute une nouvelle réappropriation de leur corps par les femmes grâce à toutes ces petites et grandes avancées.
La naissance de la culture porno est aussi certainement à prendre en compte, à notre époque d’adolescents cela restait difficile d’y accéder, alors que maintenant tu as vu ton porno à douze piges depuis ton Smartphone, ça démystifie les choses et les normalise.
Mais je pense que c’est avant tout la rencontre entre le renouveau féminisme et la culture des réseaux sociaux qui a popularisé la thématique de la sexualité. #Metoo et #Balancetonporc ont vraiment aidé. Les journalistes ont commencé à chercher des personnes pour s’exprimer sur la sexualité à ce moment-là ; cela coïncide avec mon passage à Canal+. D’un seul coup, les gros médias se sont dit : “il y a une actualité sur la sexualité des femmes, des problématiques, il doit y avoir des blogueuses à ce sujet, il faut qu’on creuse”. Tout ça a beaucoup aidé de nouvelles personnes à se lancer à leur tour sur les réseaux sociaux, à parler de sexualité ouvertement et librement. Elles le revendiquent, car c’est féministe et ça permet de vraiment remettre le mot féministe sur le devant de la scène, de se rappeler qu’on en a toujours besoin, qu’il n’appartient pas au passé, et cela rouvre le dialogue sur la sexualité.
“My body my rules”, “body positive”, ces termes vont de pair avec la société des réseaux sociaux, centrée sur l’individu, la recherche de likes, sur le fait de se montrer et de s’assumer et la prise de parole de personnes invisibilisées comme les femmes rondes ou racisées, tout cela a fait que la sexualité est devenue un sujet in. Instagram a un impact très fort ! La possibilité donnée à chacune d’arriver et de créer des comptes hyper populaires et médiatisés comme Tasjoui, OrgasmeEtMoi ou J’menBatsLeClito. tout le monde suit ces comptes, tout cela diffuse, tout cela normalise l’expression sur la sexualité et c’est super.
J’espère avoir contribué à ouvrir la voie avec d’autres aussi avant moi, pour les jeunes filles de quinze ans qui recherchent aujourd’hui “sexualité positive” ou “clitoris” et qui vont tomber sur des articles que nous avons écrit.
Quels conseils pourrais-tu donner à celles et ceux qui souhaiteraient se lancer dans le blogging ou d’autres projets autour de la sexualité ou du genre ?
Je crois qu’il faut se lancer dans un truc qui te fait vraiment kiffer, que ça te tienne hyper à coeur et que ça te passionne car ça peut être dur, tu peux avoir des joies mais aussi des moments de bad, comme quand tu lances tout projet.
Lorsque tu entres dans une démarche entrepreneuriale surtout, tu risques d’avoir plein de frustrations et c’est vraiment d’aimer ça qui permet d’y faire face ! C’est aussi important de bien penser au business model que tu veux mettre en place en définissant les moyens par lesquels tu veux gagner de l’argent, si tu commences direct dans cet objectif. Il ne faut surtout pas négliger le réseau, c’est hyper important de parler avec des gens, trouver des personnes qui ont des projets proches du tiens, qui ont un jour pourraient t’informer, t’aider ou te soutenir. Rencontrer le plus possible les gens (quand on pourra à nouveau le faire) ou en tout cas échanger même à distance. En revanche, il faut aussi parfois savoir prendre son temps et ne pas vouloir grandir trop vite je pense, ne pas se dire tout de suite que tu as besoin de cinq ou six personnes avec toi. Tu peux manquer de certaines compétences certes, mais tu peux réussir à faire beaucoup de choses par toi-même et t’éviter ainsi des complications et des nouvelles problématiques.
Enfin il faut croire à ton projet car de toutes façon, tu seras toujours la première personne à y croire plus que les autres à mon avis !
Pour conclure, peux-tu nous parler de ta nouvelle vie à Bruxelles et de tes projets là-bas ?
Je viens de déménager à Bruxelles et les choses sont compliquées avec le confinement pour le moment ! Je suis venue pour ouvrir un club inspiré des clubs de Gentlemen basé sur la notion de sororité pour empower les femmes dans leur sexualité, un endroit où tu peux venir prendre un café, participer à des workshops en groupe, trouver du contenu informatif et féministe, des accessoires pour le bien-être, participer éventuellement à des ateliers corporels (pole dance, effeuillage...). Tout ceci est encore en réflexion.
J’imagine un lieu assez festif aussi, car j’ai vécu au Brésil l’année dernière et j’ai beaucoup fréquenté les milieux féministes et artistiques de Rio. Le féminisme là-bas est très chaleureux, très ouvert, inclusif et queer aussi, c’est toujours une petite fête pleine de paillettes ! J’ai envie d’importer ce mood en Europe où le féminisme a encore un peu trop tendance à se projeter sur l’homme, à s’empower toujours au regard de l’homme, à avoir du mal à se penser en soi et entre femmes.
Ma vision est plutôt que nous nous recentrions sur nous, que nous interrogions notre sexualité concrètement : “my body my rules”, ok, mais concrètement, qu’est-ce que tu fais ? Comment tu vis ton corps, comment tu te sens ? Comment tu perçois ta sexualité pour toi-même et pas juste au regard de ce mec qui ne te fait pas jouir ? Comment tu te fais jouir par toi-même ? J’aimerais ainsi réunir des femmes dans un espace où l’on va s’interroger sur toutes ces questions, un espace où elles aiment passer du temps et où à chaque fois qu’elles en ressortent il y a quelque chose qui se soit transformé en elles et leur a fait du bien.
Vu que pour le moment les regroupements sont compliqués, je réfléchis à des alternatives et un peu comme avec Desculottées voir comment tout ça évolue, au fur et à mesure !
Notes
Un grand merci à Tatiana, pour sa disponibilité et son temps, son énergie, et son travail !
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