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Femmes et sciences : et si l'égalité favorisait les stéréotypes ?

Written by
Leïla

Femmes et sciences : et si l'égalité favorisait les stéréotypes ?

Un article de
Leïla

Durant mon enfance, j’ai toujours voulu être architecte. Inspirée par des figures masculines de ma famille ingénieurs et architectes, le milieu de la conception des bâtiments, à cheval entre technicité du construit et humanité du vécu m’a toujours attiré. Après une première introduction aux études d’architecture et face à la désillusion que ce n’était pas fait pour moi, je me suis retrouvée en quête de mon futur et ai envisagé diverses carrières tantôt scientifiques tantôt humaines et sociales. Au moment de me décider, la balance pesait quasi à égalité entre ces deux alternatives, mais mon choix s’est finalement tourné vers les sciences sociales. Bien que n’en ressentant aucun regret, une partie de moi se demande toujours : où en serais-je actuellement si j’avais poursuivi des études dans les sciences ? Et encore pire : mes principes féministes et moi-même serions-nous tombés dans le piège du patriarcat et de ses représentations genrées de la société?

La satisfaction de la suite de mon parcours m’a rapidement fait oublier cet instant d’hésitation qui aurait pu faire basculer ma vie vers une toute autre destinée. Toutefois, en septembre dernier, j’ai eu l’occasion de me repencher sérieusement sur le sujet en travaillant au sein de l’Asia-Europe Foundation pour l’organisation de la 14ème Classroom Network Conference sur l’égalité de genre dans l’enseignement des STEM (Science, Technology, Engineering and Mathematics). La conférence a rassemblé des enseignantes et enseignants de sciences du niveau secondaire de pays d’Asie et d’Europe à Helsinki, Finlande pour discuter de cette thématique. En faisant des recherches sur le sujet en vue de la conférence, j’ai pu constater que les études (celle de l’UNESCO, 2017, par exemple) démontrent clairement que de l’école primaire au monde professionnel, les femmes font face à de nombreux biais, discriminations et normes sociales les retenant de poursuivre études, emplois et carrières dans les STEM. Ces biais et stéréotypes sont véhiculés dans la société comme dans les médias, mais également de manière inconsciente dans le cercle plus restreint de l’individu comme sa famille et ses proches. Il existe donc différents leviers pouvant être mis en place afin d’encourager les filles dans les STEM. Les préjugés infondés liés à leurs capacités intellectuelles ainsi que les stéréotypes masculins associés à la figure du scientifique sont particulièrement en cause et cela se traduit par un désintérêt progressif des filles pour les sciences qui augmente avec l’âge. Arrivées au niveau de l’éducation supérieure et malgré les progrès, ce ne sont encore que 35% de filles qui choisissent les STEM comme sujet d’étude.

(Image : UNESCO, 2017, Cracking the code: girls' and women's education in science, technology, engineering and mathematics (STEM), p.40)

(Image : UN Women)

Les sciences sont-elles encore une affaire d’hommes ?

Pourtant, aucun fondement ne vient justifier ces croyances, bien au contraire. A l’école, les filles obtiennent en moyenne des notes tout aussi bonnes voire meilleures que les garçons dans les matières scientifiques selon une étude réalisée au sein de 67 pays et régions (Stoet et Geary). Toutefois, il a été montré que les filles sont beaucoup plus sévères avec elles-mêmes lorsqu’il en vient à s’auto-qualifier de douées pour ces matières. En termes de forces académiques relatives, les filles qui obtiennent de bonnes notes en sciences ont également plus de chance d’également avoir de bonnes notes dans d’autres disciplines, par exemple littéraires. Elles vont de ce fait considérer une plus large gamme de filières et plus facilement éliminer les sciences de leur parcours (Wang, Eccles et Kenny). Pour ce qu’il en est de la figure scientifique, il existe une réelle sous-représentation des femmes dans les domaines des sciences. Eh oui, on a toutes et tous grandis en regardant C’est pas sorcier, mais nous pouvons nous demander qui a principalement été inspiré par la figure de ce cher Jamy. Ça n’aurait pourtant effectivement pas été quelque chose de sorcier que de présenter plus de femmes dans le rôle de détentrices et diffuseuses de ces savoirs scientifiques, avions-nous peur alors d’engendrer une prolifération de sorcières ?

Ce phénomène de sous-représentation a d’ailleurs un nom, c’est l’effet Matilda qui désigne l'occultation et la minimisation systématique de la contribution des femmes à la recherche et à d'importantes découvertes, le résultat de leur travail étant souvent attribué à des collègues masculins plus visibles et plus influents.

Le manque de rôles modèles féminins au sein des émissions TV, mais également en tant qu’enseignantes de matières scientifiques, a un impact majeur sur l’identification et la projection que les jeunes filles se font – ou au contraire ici ne se font pas.

Trop d’égalité… favoriserait les stéréotypes ?

Un ’gender paradox’ a été mis en évidence dans une étude psychologique (Stoet et Geary) en étudiant la corrélation entre la proportion de femmes diplômées en STEM et l’indice d’égalité de genre des pays basé sur la mesure du World Economic Forum. Plus l’indice d’égalité au sein du pays est élevé comme en Finlande, Norvège, ou en Suisse, plus la proportion de femmes diplômées dans ces disciplines est basse.

(Image: Stoet, Becket, 2018, “The Gender-Equality Paradox in Science, Technology, Engineering, and Mathematics Education”, Psychological Science)

Pourquoi au sein des sociétés les plus égalitaires cette différence est-elle exacerbée ? De manière contre-intuitive, une des raisons avancées est que dans ces sociétés, les femmes sont plus libres de faire un choix de carrière de manière libre, avec de moindres considérations pour des intérêts économiques et financiers. Cependant, ce libre choix dans une société qui perpétue à véhiculer des visions stéréotypées et genrées du milieu scientifique aboutit à une reproduction et perpétuation de ces inégalités qui se traduisent aux niveaux professionnels et salariaux.

Le problème ne se situe donc pas au niveau du degré d’égalité du pays, mais plutôt au niveau de tous les interstices de la société où l’égalité n’est pas encore présente ! Plus que d’encourager les filles dans les STEM, il s’agit également d’éviter qu’elles ne se découragent sous la pression des normes.

Difficile toutefois de tenter de faire peser la balance de l’autre côté sans incitations positives. Le cas de la Turquie qui se situe à l’opposé de la Suisse sur le graphique l’illustre tout particulièrement. Le pourcentage de femmes dans les domaines des STEM, de la santé et de la recherche et développement était de 44.86% en 2017, surpassant celui de l’Union Européenne qui était en moyenne de 40.54% selon Eurostat. Dans ce pays où l’indice d’égalité de genre est l’une des plus basses, ce résultat significatif prouve l’efficacité des larges campagnes de sensibilisation et d’incitation auprès des étudiantes en faveur des sciences. La discrimination positive en faveur des femmes dans les matières où elles sont sous-représentées, la mise en avant de rôles modèles féminins et la révision des matériels et supports de cours véhiculant des stéréotypes de genre sont donc indispensables à une société ou le libre choix des individus serait réellement libre, et non pas conditionnés et prédéterminés.

Vers des choix libres enfin libérés !

Après tout ce chemin parcouru, je suis arrivée à la constatation que ma destinée de scientifique ne s’est pas tant jouée à une petite hésitation au sein de mon esprit mais plutôt à un niveau sociétal de manipulation bien plus complexe ayant écrasé mes aptitudes scientifiques existantes et oppressé mes ambitions de savante expérimentale (pour ne pas tomber dans le drama). J’ai quand même décidé de prendre ma revanche, si ce n’est pour moi, au moins pour les générations futures avec le projet i-Science visant à mettre en relation des groupes de jeunes filles avec des femmes scientifiques. Etudiantes ou professionnelles et toutes passionnées par leur objet d’étude, l’objectif est de transmettre à une nouvelle génération l’idée que oui, les femmes sont tout autant légitimes, performantes et épanouies dans le milieu des sciences ! Cela est d’autant plus important alors que les métiers du futur apparaissent comme de plus en plus demandeurs en compétences technologiques et scientifiques, pas uniquement au sein de ces disciplines, mais de manière décloisonnée et transversale à toutes les industries.

L’aspect humain est ainsi d’autant plus important à être intégré au milieu des sciences, de même que l’inclusion et la promotion de la diversité dans le but que toute innovation scientifique ou technologique soit bénéfique à la société dans sa globalité.

Afin d’éviter que le marché du travail et sa segmentation entre postes à hautes et basses qualifications ne se traduisent en une division genrée et de manière performative exacerbent les inégalités, il est important de préparer la future génération de manière inclusive à ces changements.

Si le projet te parle, suis les liens ci-dessous et n’hésite pas à les partager !

Tu es une étudiante ou professionnelle scientifique motivée par l’idée de partager ton domaine d’expertise avec des jeunes filles, suis ce lien pour plus d’informations et inscris-toi !

Tu as ou connais des filles entre 8 et 11 ans et voudrait leur donner la chance de participer à une expérience enrichissante pour leur développement scolaire et personnel, suis ce lien où tu trouveras plus d’informations et le formulaire d’inscription !


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