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La visibilité LGBTIQ+ demande-t-elle encore du courage ?

Written by
Anna

La visibilité LGBTIQ+ demande-t-elle encore du courage ?

Un article de
Anna

Il y a quelques mois, le projet (In)visibles* nous a demandé à ma femme et moi (#justmarried) de faire partie de leur campagne photo. Le but : rendre visible les couples LGBTIQ+ genevois, souvent encore invisibles dans l’espace public. Si pour elle la réponse était immédiate - bien sûr qu’elle était d’accord ! -  pour moi rien n’a été évident. Et c’est avec une petite culpabilité que je lui ai avoué que je n’étais pas sûre d’en être capable. « C’est intéressant, j’ai l’impression qu’y en souvent un.e dans le couple qui est plutôt d’accord et l’autre qui dit non» m’avait-elle alors répondu, en m’assurant bien évidemment que nous ne ferions rien, si nous n’étions pas toutes les deux absolument à l’aise. J’ai tout de suite pensé à ces autres moitiés de couple, qui comme moi sont impressionnées de l’audace de leur +1, car elles n’osent pas ou ne désirent pas être « mises en avant », pour cette partie-là de leur vie du moins.

J’ai fait l’erreur d’évoquer la campagne à une soirée, devant un mec que je venais de rencontrer, un pote de pote, assez loin du milieu, mais plutôt chou au demeurant. Il m’a tout de suite répondu « Ah mais y a encore besoin de ce genre de campagne ? C’est tranquille d’être LGBT maintenant non ? »

Ce soir-là, 3 personnes trans/queer à la même soirée que nous, seront agressé.es à Bel-Air.
Journaux suisses depuis janvier 2020

Ce n’est pas la première fois que j’entends ça à Genève. Et je me retrouve toujours à devoir-insister sur la persistance de certains problèmes : certes, je n’ai personnellement pas la sensation de risquer ma vie tous les jours comme dans certains autres pays, et la société a objectivement évolué ces dernières années. Mais SI, être visible demande quand même parfois encore un peu de courage. Je me retrouve face à cette image un peu factice d’un Genève où tout le monde est heureux.se et logé.e à la même enseigne, alors même qu’il n’en est rien. Comme tous ces gens surpris d’apprendre qu’il n’y a même pas encore le mariage ouvert aux couples de même sexe en Suisse par exemple, ou qui débattent de l’homoparentalité parce qu’ils.elles ne « savent pas trop ce qu’ils en pensent ». Et parfois ce sont des remarques encore plus insidieuses, comme cette personne qui m’avait dit un jour « t’es avec une femme c’est ok à la limite, tant que tu ne viens pas en garçon au bureau ».

Petit désespoir devant ces leçons d’homophobie et de transphobie qu’on nous dispense quotidiennement

Je me retrouve à devoir expliquer mes mécanismes d’adaptation à l’intolérance, ceux que je crois me protéger, mais qui entachent parfois mon quotidien.

La visibilité, cet arbitrage constant

La « visibilité LGBTIQ+ » est une idée un peu fourre-tout, car je suis consciente que nos réalités dans la communauté sont parfois très différentes. Et c’est ce qui m’a aussi plu dans le projet d’(In)visibles, la possibilité de voir des couples de toutes orientations sexuelles et/ou de genre.

Etre visible a été pour moi un choix omniprésent (et nous n’avons pas tous.tes ce choix) opéré en fonction d’un arbitrage personnelle et circonstancielle : est-ce que je me sens en sécurité, est-ce que je me sens à l’aise avec l’idée d’être visible, est-ce que même si je ne me sens pas en sécurité, je souhaite me faire violence et être visible ? La visibilité, être « out » aux yeux de tous.tes, est une action que j’intellectualise, sans cesse renouvelée, à chaque coin de rue, dans chaque nouveau resto, dans chaque nouveau bar, à chaque événement, de boulot ou perso. Et je vais me sentir très différemment d’une ville à une autre, d’un quartier à un autre, voir même d’une heure à une autre.

L’épisode de Sex Education qui m’a le plus stressé – Eric en drag seul dans la pampa à la merci du monde hostile

Malheureusement, cela reste une réalité qu’on se met encore potentiellement en danger lorsqu’on à l’audace de remettre en cause les codes traditionnels du genre- remise en cause qui semble être insupportable pour tant de personnes, que ce soit parce qu’on est une femme avec une femme, un homme avec un homme, trop butch ou trop fem, une personne trans, une personne non-binaire, une personne en drag etc. Et je suis moi-même si admirative de toutes ces personnes qui vivent leur vie pleinement sans (ou malgré) cette anxiété, alors même que pour moi ce n’est pas toujours simple.

« S’invisibiliser » pour mieux vivre ?

Je me suis rendue compte qu’il y avait donc un nombre incalculable de fois où je me suis moi-même censurée par peur de ce qui pourrait arriver. Et lorsque je choisis d’être tout de même visible, j’ai du mal à véritablement profiter du moment, car je fais attention à chaque regard. Alors certes, ça ne m’empêche pas d’être « out » - dans mon travail, auprès de ma famille, de mes ami.es, auprès de tous.tes quasiment.

Et pourtant dans ma vie quotidienne j’ai mis en place de véritables mécanismes d’adaptation, parfois en réaction à des choses qui me sont véritablement arrivées, et parfois par pure anticipation.

Je ne tiens jamais la main de ma copine dans un taxi/uber par exemple. Après qu’un automobiliste ait accéléré pour « rigoler », alors que nous traversions, je ne tiens plus sa main non plus sur les passages piétons. Je lui lâche aussi la main lorsque nous croisons un groupe de mecs, et parfois aussi un grand groupe de filles. Je ne l’embrasse jamais devant des enfants, par peur qu’ils.elles ne posent des questions sans filtre. Je fais toujours attention quand je rentre avec elle la nuit, déjà tout simplement habituée par le fait que nous soyons des femmes. Le monde qui nous entoure n’est jamais anodin, il ne disparait jamais.

Mais il n’y a pas que la sécurité ou cette peur de l’incompréhension. Il y a aussi des petites choses du quotidien, qui semblent presque anodines et qui pourtant deviennent épuisantes. Comme par exemple, ce petit « ah ?!? », si gonflant, à chaque fois que ma copine me présente à quelqu’un de sa famille ou lorsque nous sommes dans un environnement à majorité cis-hétéro (comme c’est le cas la plupart du temps). Ce petit hochement de tête un peu stressé, qui souvent trahit un instant de panique, et parfois montre de la désapprobation. Ce petit « ah » qui m’enlève toute fierté d’être présentée et qui me fait sentir comme si j’étais une attraction un peu étrange et surprenante.

Et je vous présente… ANNA ! Aaaaaah. Anna. #Coolcoolcoolcoolcool

La charge mentale de l’anxiété

D’autres questions me bloquaient aussi dans ma volonté de participer à la campagne photo. Qui étais-je pour représenter la communauté ? Et voulais-je jouer ce rôle de « poster child » ? Si mon histoire familiale m’avait appris une chose, c’est que la différence affichée n’est pas forcément une grande idée. Venant d’une famille juive avec une histoire un peu tragique, mais malheureusement loin d’être unique à l’époque de la guerre, j’ai toujours, sans vraiment m’en apercevoir, porté l’idée que se différencier pouvait amener à l’exclusion et la persécution.

Je me suis véritablement rendue compte de la portée de cette peur au moment de mon mariage civil, dans ma ville natale. Je n’en ai pas dormi pendant des semaines, car très inquiétée que quelqu’un soit violent au moment de notre sortie de l’hôtel de ville. En confiant mes peurs à ma mère, elle m’a avoué que mon père les partageait – on aurait toujours un pogrom d’avance paraît-il. Cette peur de la singularité qui m’a couté deux H à mon prénom, reste surement inscrite en moi comme un geste de précaution - au cas où…

Et puis, participer à cette campagne c’était aussi perdre le contrôle de mon image dans l’espace public. Je ne cessais de penser : seras-tu assez résiliente pour ne pas être trop affectée, si quelqu’un tague ta photo ?

L’expo photo d’Olivier Ciappa vandalisée à Metz en 2018

Cette anxiété, cette impression d’insécurité est difficile à expliquer, c’est davantage un sentiment, une perception sociétale, qui n’est parfois pas objective. J’amène dans l’espace public que je ne peux pas contrôler, l’intimité délicate de mon identité et de mon couple, celle qui compte le plus à mes yeux et que je veux protéger par-dessus tout. Et parfois j’ai eu raison, mais bien sûr il m’est aussi arrivé d’avoir tort, d’attendre le pire d’une personne qui nous témoigne finalement d’une parfaite acceptation et d’une absolue bienveillance. Alors je me sens presque coupable d’avoir encore peur.

Changer la société passera par le changement des mentalités de tous.tes, mais enverra aussi des signaux aux personnes queers, que nous pouvons être en sécurité dans l’espace public. Qu’il nous appartient aussi. Que nous avons le droit de l’occuper et d’y être nous-mêmes. On peut déjà remarquer ces changements subtils pendant les marches des fiertés par exemple :  tout à coup, être en majorité nous donne cette liberté absolue d’exister. Et j’arrive à reproduire cette sensation lorsque je suis avec d’autres personnes queers ou lorsque je suis avec des ami.e.s qui sont ouvertement des allié.e.s. Ce sont la bienveillance, l’avancée sociale, la représentation de tous.tes qui contribueront à notre égalité, pas seulement de droit, mais aussi une égalité de traitement quotidienne, la liberté de ne plus devoir vivre prudemment.

Changeons la société pour qu’elle s’adapte à nous, plutôt que l’inverse

Etre visiblement LGBTIQ+ à Genève est une sorte de concours de résilience constant : on entend des choses toute la journée, on les trie et les assimile, certaines seront faciles à digérer et n’auront aucune incidence, d’autres resteront avec nous.

Et c’est par soucis de cette potentialité, qu’on se cache parfois, comme c’est mon cas. La plupart du temps je vis « normalement ». Et parfois je suis heurtée par ce que je vois et ce que j’entends, parfois je sens cette colère et je me réfugie dans la communauté, juste pour ne pas devoir expliquer, juste pour ne pas voir ce regard en biais, même s’il ne dit rien, et même s’il n’est pas fondamentalement méchant.

Parfois on a juste la flemme d’être différent.e. Alors on se plie à la majorité et on cache cette altérité. On lâche la main de son.sa copain.ine et on renonce à notre visibilité. Mais trop renoncer et constamment jouer à ce jeu du « closet » en accordéon (concept à breveter), toujours évaluer les risques d’en parler selon les situations, aura forcément un impact sur soi, sur sa santé mentale et sur son couple. Car se cacher pour se protéger, c’est aussi intégrer qu’il y a quelque chose d’anormal à sa vie, et qu’il faudrait en avoir honte.

Il faut soutenir les projets comme (In)visibles qui souhaitent contribuer à changer la société, l’adapter, la faire grandir, pour qu’elle respecte tout le monde, plutôt qu’attendre des personnes LGBTIQ+ qu’ils.elles acceptent de ne pas trop se montrer pour se sentir en sécurité. Mais aussi pour qu’ils.elles se sentent pleinement accepté.e.s, plutôt que toléré.e.s Qu’ils.elles puissent tout simplement être, sans avoir à y penser.

Et finalement je l’ai fait. J’ai participé à la campagne.

Je l’ai fait pour ma femme qui m’avait dit un jour qu’elle aurait aimé voir une campagne comme celle-ci lorsqu’elle grandissait, afin de se sentir représentée. Je l’ai fait pour un.e petit.e LGBTIQ+ closeté.e, pour qu’il.elle voit que son identité n’a pas à être cachée mais peut être célébrée. Je l’ai fait pour inscrire dans la rétine publique une autre image de ce que peut être un couple.

Finalement, je l’ai fait pour moi.

Retrouve Anna sur Instagram @an_bchr

*Le projet (In)visibles a pour but de visibiliser les couples et familles LGBTIQ+ dans l'espace public par une campagne photo. Cette dernière sera visible au Parc des Bastions, à Genève, au mois de mai 2020. L'équipe cherche encore des participant·e·s, n'hésite pas à les contacter:

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