Mon premier coup de cœur a eu lieu dans une cour de maternelle
J’avais quatre ans et elle s’appelait Véronique.
Depuis l’enfance, ne me sentant pas toujours comprise, incluse ou représentée, j’ai trouvé des professeur.e.s, allié.e.s et confident.e.s, dans les pages des livres et en couchant des mots, mes maux, questionnements, amours et espoirs sur des pages blanches.
Encore aujourd’hui, à l’aube de la quarantaine, lire et écrire me permet de trouver un équilibre, de prendre de la distance, d’analyser et de mieux comprendre la société et ses codes, de décrypter les relations humaines et de surpasser certaines situations.
Actuellement, même si la communauté LGBTIQ+ est davantage représentée qu’il y a quarante ans, qu’elle s’est littéralement battue pour en arriver là, nous assistons à une stupéfiante et inquiétante montée de l’homophobie et de la transphobie.
Mais comment apprendre à s’aimer et à aimer au sein d’une société qui nous contraint à évoluer dans le déni, la honte et le refus de nous-même ?
Lorsque l’on s'acharne à vouloir nous faire croire que notre normalité est une différence, qu'elle doit être "avouée", comme s’il s’agissait d’une faute.
Que nous entendons ou lisons régulièrement des commentaires durs et déplacés et sommes en permanence jugé.e.s, parfois rejeté.e.s, moqué.e.s, nié.e.s, violenté.e.s, insulté.e.s ?
La confiance et l'amour ne sont naturellement pas faciles à ressentir et à trouver, mais le chemin n’est-il pas encore plus complexe, lorsque l’on a manqué de références, de valorisation et de respect ?
Face à cette propagation d’insultes et de violences que je découvrais médusée, principalement sur les réseaux sociaux ou dans les médias, dès qu’il est question d’octroyer davantage de droits et de visibilité à la communauté LGBTIQ+, je pensais sans cesse aux enfants, jeunes et moins jeunes concernés, qui vivent et évoluent dans ce climat hostile et jugeant.
Je me suis alors demandé comment agir, à mon niveau, ne pas rester les bras croisés, laisser la situation déraper, se détériorer, régresser, tout en me sentant effrayée et impuissante.
Comment m'adresser à d'autres personnes, se sentant peut-être fragilisées, heurtées, diminuées et en insécurité ?
Les toucher largement et autrement que sur les réseaux sociaux, d'une manière artistique, pour leur dire, avant qu'il ne soit trop tard parfois, qu'elles ne sont pas seules, que les obstacles se dépassent, que les épreuves se traversent et qu'il est tout à fait possible d'en ressortir grandi.e.
Et c'est naturellement, puisque certains livres ont réellement changé ma vie, que j’ai pensé à l'écriture comme moyen de communication ; pour mettre en lumière des thèmes qui me sont chers, tels que l’enfance, le manque de références et de repères, le sentiment de solitude et d’isolement, les premiers émois et sentiments, l’adolescence, les relations, les déceptions, le rejet, le coming in et coming out, l’environnement social, familial, professionnel, l’acceptation de soi, la recherche du bonheur et de l’amour.
Comment tout cela était-il ou est-il vécu, il y a quatre-vingt, soixante, quarante ans ou aujourd’hui, au sein de différents milieux familiaux et sociaux, lorsque l’on fait partie de ce que l’on appelle : "la communauté LGBTIQ+", en Suisse, en France, en Europe ou ailleurs.
J'ai alors décidé de commencer par publier un condensé de textes que j’ai écrits au fur et à mesure de ma vie et de mes rencontres.
De livrer mon histoire, plutôt ordinaire.
Celle d’une enfant, adolescente, jeune fille et femme lesbienne, originaire de Genève, franco-suisse, née quelques mois avant 1980, au sein d'une famille et d'un environnement relativement classiques, où l'homosexualité ne semblait juste pas exister et par conséquent, être une option.
De conter le chemin qui, tout comme celui de tout un chacun.e, a été parsemé de joies, de peines, d’espoir, de désillusions, de raconter mes relations, ma quête du bonheur, du grand amour et ma volonté inébranlable de vivre ma vie et mes amours simplement, normalement.
De relater les expériences importantes, heureuses et malheureuses qui m’ont menée jusqu’à moi, aux autres, à l’autre.
Ce roman autobiographique sera publié prochainement sous le nom de « ConfidentiElles ».
Il s’agira de la première partie du projet Le Fil Rouge, une collection de livres et de nouvelles LGBTIQ+, que je coécrirai au fil des nouvelles rencontres de personnes qui souhaiteront me confier et partager leur histoire.
Avec ce projet, j'espère contribuer à démontrer combien la valorisation de la diversité et aller continuellement vers d'avantage d'inclusivité, est essentiel pour les enfants, adolescents et tout au long du parcours des personnes LGBTIQ+.
En tant qu’auteure et grâce à mon expérience en tant que journaliste spécialisée en développement personnel, mon but est de retranscrire ces histoires de manière positive, de proposer des exemples qui, je l'espère, aideront d’autres personnes à se sentir moins seules, à dépasser les obstacles, à utiliser et transformer les difficultés, afin de devenir plus fortes, de s’assumer et de s’accepter pleinement.
Ces témoignages seront également destinés à toucher celles et ceux ayant tendance à nier ou à minimiser les problématiques LGBTIQ+ ; à penser qu'il n'y a qu'une seule normalité, par méconnaissance souvent ou croyance parfois.
Car c'est évidemment en partie grâce à ces personnes, faisant le choix de devenir plus compréhensives, bienveillantes et inclusives, qu'émergera une nouvelle société, dans laquelle chacun.e pourra enfin s'épanouir pleinement et se sentir en sécurité.
En parallèle de ce projet d'écriture, qui pourrait être une base pour la création de nouvelles collaborations et performances artistiques, des cercles de paroles et évènements sur des thématiques LGBTIQ+, seront également proposés.
Le projet Le Fil Rouge est accompagné et soutenu par B Ø W I E, premier incubateur dédié aux projets innovants dans le domaine du genre en Suisse.
"Ton projet est magnifique Audrey, tu peux le défendre la tête haute et fière.
Livrer son histoire d'une aussi belle manière et sans fard, est l'apanage des grandes, belles et fortes âmes".
Sabine, la première lectrice de ConfidentiElles.
Audrey
Extrait de ConfidentiElles
Chapitre IX
La professeure d’allemand
J’avais tout juste douze ans lorsque je la vis pour la première fois.
Ma professeure d’allemand.
J’ai immédiatement été hypnotisée par ses grands yeux d’un bleu profond… son visage anguleux, aux traits harmonieux, était entouré d’une chevelure brune, légèrement ondulée.
Je sentais pour la première fois les effluves d’un parfum de Guerlain qui me ferait ensuite chavirer le cœur et l’âme très longtemps.
Dès les premières secondes de son cours, je suis tombée profondément amoureuse d’elle et ce sentiment ne me quitta pas une seconde durant les trois années qui suivirent.
Cependant, en 1991, n'évoluant pas dans un milieu où l'homosexualité semblait exister, je ne me disais pas que j'étais lesbienne, gay ou homo.
Je refusais catégoriquement de faire ce lien ; d’ailleurs, je ne connaissais pas tout à fait la signification de ces termes qui me semblaient alors honteusement tabous.
Je définissais et justifiais ce que je ressentais, comme étant simplement une grande admiration et au moindre doute, je me jurais jusqu'à m'en persuader, que je n'étais pas amoureuse de ma belle professeure.
Et pourtant, lorsque j'assistais à ses cours ou la croisais dans les couloirs, rarement par hasard, puisque je connaissais ses horaires par coeur, que je sentais dans un premier temps son envoutant parfum, la voyais se déplacer comme au ralenti, lorsqu’elle plongeait ses yeux azurs dans les miens et me parlait… alors mon cœur se serrait et tout mon être mourrait littéralement d’amour pour cette femme que je trouvais absolument merveilleuse et parfaite.
Je m’imaginais simplement être à ses côtés, je désirais compter pour elle, pouvoir la contempler chaque jour, rester là, près d’elle, sans faire de bruit pensais-je, alors que j’en faisais tellement pour attirer son attention.
Parfois, certainement lasse de voir la jeune fille énamourée que j’étais, bien trop souvent sur son chemin, elle faisait mine de ne pas me voir, alors je pleurais à chaudes larmes, le soir en cachette.
L’adolescente que j’étais ne s’est jamais imaginée embrasser cette femme ou être avec elle d’une quelconque façon intime, non à cette époque, mon unique désir était de devenir son amie, j’étais une toute jeune fille, gauche et amoureuse et elle, une femme dans la trentaine, mariée et maman.
Durant ces années, comme les autres jeunes filles de mon âge, je flirtais avec des garçons, parce que cela se faisait.
J’aimais le cinéma, le théâtre et la littérature et dans ces œuvres, les filles aimaient des garçons et je ne souhaitais surtout pas être différente.
Je prétendais et croyais tomber amoureuse régulièrement, de Vincent, Raphaël ou d'autres, mais le soir, en m’endormant, seuls la silhouette fine et élégante de ma professeure, son sourire, sa voix, ses mots et son parfum capiteux, aux fragrances de santal et de jasmin, occupaient mes rêves et pensées.
Les grandes vacances sont arrivées, la cloche a sonné pour la dernière fois dans cet univers dont le centre était pour moi une belle, jeune et brillante professeure d’allemand.
J’avais quinze ans et je partais vers d’autres horizons, alors que ma première grande passion déménageait à plusieurs centaines de kilomètres de là.
Sur le bord de la route, c’est désemparée, le cœur serré et les yeux brouillés par les larmes, que j’ai regardé sa silhouette s’éloigner, au volant d’une voiture grise que j’avais tellement guettée… Alors que de son côté, elle est partie sans même jeter un regard dans ma direction.
Je ne l’ai jamais revue depuis ce jour du mois de juin.
Le Fil Rouge présentera un atelier d'expression artistique sur des thèmes LGBTIQ+ s'adressant aux personnes LGBTIQ+, ainsi qu'aux parents, famille, entourage, ami.e.s ... durant la semaine de la Pride. Pour plus d'informations, suivez les comptes de réseaux sociaux du Fil Rouge: Instagram, Facebook ou contact par email.