Paf ! Les images mes reviennent en plein visage, à cent mille à l’heure. Les images, mais aussi les mots. Les mots, surtout. Je me souviens, nous avions 15 ans. Quel âge merveilleux ! Toutes ces nouvelles expériences, et ces fous rires qui ne prenaient jamais fin. Dieu, combien ça me manque ! Nous nous pensions si grand·e·s, si seulement nous savions combien nous étions jeunes, combien d’expériences nous attendaient au tournant, et combien nous allions encore en apprendre.
Pourquoi maintenant ? Pourquoi tous ces souvenirs me viennent en tête maintenant ? Je ne sais pas très bien. Je suis particulièrement sensible en ce moment. Plutôt mélancolique, et un peu perdue. Je ne comprends pas très bien pourquoi, mais j’y pense de plus en plus. Une chose est sûre : j’en prends conscience maintenant. Mieux vaut tard que jamais, je me suis entendue penser, avec un peu de sarcasme et énormément de tristesse.
Oui, je sais, c’est du passé maintenant. Tout le monde est passé à autre chose. Tout le monde a continué son merveilleux chemin. Chacun·e de nous est plus ou moins satisfait·e de sa vie. Mais est-ce que tout le monde a pour autant oublié ? Je ne pense pas. Peut-être qu’on y donne moins d’importance, mais ce genre de chose ne disparaît jamais complètement. Les mots, surtout. Les mots resteront toujours quelque part, gravés dans nos mémoires, refaisant surface quand on s’y attend le moins, retournant le couteau dans la plaie.
A toi, Camille*. Tu as toujours été ouvert avec nous. Tu as toujours aimé les femmes. Tu t’es toujours senti mal dans ta peau, car le sexe qui t’a été attribué à la naissance ne te correspond pas. Tu es un homme et, finalement, tu l’as toujours été. Excuse-moi de t’avoir si souvent ri au nez quand tu nous le disait. Excuse-moi de t’avoir si souvent nié ton identité. Excuse-moi de t’avoir si souvent dit “d’arrêter tes bêtises” et d’accepter qui tu es. Excuse-moi de t’avoir si souvent répété qu’avec le temps, tu passerais à autre chose, car, “de toute manière, tu ne seras jamais un homme”.
A toi, Béatrice*. Tu aimes les femmes autant que les hommes. Tu as toujours été merveilleusement courageuse, tu as toujours été fière de qui tu es, de qui tu devenais, et de ce que tu accomplissais. Nous ne le savions pas encore, mais tu es la toute première activiste du groupe. Tu n’as jamais cherché à cacher ton attirance sexuelle. Au contraire, plus les gens te critiquaient, plus tu la revendiquais. Nous étions encore beaucoup trop naïf·ve·s pour comprendre qu’il est effectivement possible d’être attiré·e par les deux sexes. Je m’excuse pour toutes mes remarques déplacées, notamment quand je laissais très bien entendre que pour toi, côtoyer des femmes n’aurait été rien d’autre qu’un jeu ou que de la curiosité mal placée.
A toi, Marc*. Je te demande pardon. Pardon pour toutes ces fois où les garçons* de l’école se moquaient de toi, et affirmaient être convaincu·e·s que tu étais homosexuel. Pardon pour toutes ces fois où nous riions bêtement en rétorquant que non, tu ne l’étais pas. Pardon pour avoir parlé à ta place. Pardon pour avoir contribué à cet environnement malsain dans lequel tu as fini par te sentir étranger. Pardon de t’avoir laissé penser qu’il te serait impossible de faire ton coming-out auprès de nous. Pardon de faire partie des gens à cause desquels tu as choisi de t’éloigner et de faire ta vie ailleurs.
A vous tou·te·s, personnes que je connais ou que je ne connais pas. J’écris cette lettre aujourd’hui pour m’excuser, mais aussi pour excuser cette société qui est encore beaucoup trop malsaine. Je m’excuse aujourd’hui pour avoir fait partie du problème durant si longtemps. Excusez-moi pour toutes les fois où je fais encore des erreurs malgré moi. Aujourd’hui, je rêve avec vous. Je rêve du jour où nous serons enfin tou·te·s uni·e·s, plutôt que tou·te·s l’un·e contre l’autre. Je rêve du jour où la société entière prendra enfin compte de l’immense richesse et complexité qu’un seul humain a à offrir. Je rêve du jour où “la normalité” ne sera plus considérée en tant que telle. Je rêve du jour où chacun·e de nous pourra être pleinement ce qu'il/elle/iel est et pourra pleinement s’épanouir. Je rêve du jour où nous aurons une éducation digne de ce nom, et nous nous comporterons comme des êtres humains digne de ce nom. Des être humains qui, comme l'histoire nous l'a déjà enseigné, peuvent réaliser des choses incroyables, difficiles à définir en un seul mot, du fait de la bonté que ces actes comportent et du changement qu'il apportent. Alors ce jour, et uniquement lorsque nous y serons arrivé·e·s, nous pourrons réaliser de grandes choses, tou·te·s ensemble.
Je sais que je ne pourrai jamais suffisamment m’excuser. Je sais que ce qui a été dit, a été dit, et que ce qui a été fait, a été fait. Je sais qu’on ne peut pas revenir en arrière, et que toutes ces personnes que j’ai blessées malgré moi, du fait d’une société malade, garderont leur blessure jusqu’à leur dernier souffle. Mais du moins, permettez-moi de continuer à m’excuser, de continuer à m’améliorer, de continuer à apprendre et, surtout, de continuer à me battre auprès de vous.
Notes
Les prénoms ont été modifiés pour respecter l'anonymité des personnes