Samedi 5 juillet 2019, c’était la Marche des Fiertés de la Geneva Pride.
J’y ai participé avec 35’000 autres personnes et je souhaitais partager avec vous pourquoi je pense qu’il est toujours nécessaire de faire des Prides, pourquoi j’y prends part et quelles sont les luttes que je défends quand je marche.
La Pride, des cocktails molotov aux paillettes
Cette Marche des Fiertés de 2019 avait une saveur particulière puisqu’il y a 50 ans avaient lieu les émeutes de Stonewall.
Le 27 juin 1969, des personnes trans, homosexuelles, bisexuelles et des personnes racisé·e·*·s se sont opposées aux rafles et violences policières qui visaient régulièrement les espaces communautaires queer comme le Stonewall Inn de New York et ont amorcé un mouvement de luttes politiques afin de défendre les espaces communautaires, occuper l’espace public et affirmer leur existence et leur résistance en manifestant contre les violences et les discriminations (policières, étatiques, médicales, sociales, professionnelles) infligées aux personnes ne correspondant pas aux normes blanches-hétéros-cis (en gros, tout ce qui ne correspondait pas à l’archétype de l’américain·e moyen·ne des années 60’).
Dans ce contexte, les pouvoirs politiques et la police accueillaient les queers avec des coups de matraques, des arrestations et, de manière générale, aucune liberté dans l’espace public (et privé)... Ces persécutions ont catalysé les émeutes de Stonewall.
Aujourd’hui, à Genève, les pouvoirs publics célèbrent la Pride avec nous, rencontrent les associations LGBTIQ+, travaillent en alliés sur différents projets et incluent de leur mieux nos luttes dans leur agenda politique. Et je suis contente de savoir que parmi les 35’000 personnes présentes samedi, il y avait des représentant·e·*·s de mon pays dans un contexte de fort recul des droits des personnes LGBTIQ+ en Europe et dans le monde.
Bref, la Marche des Fiertés vient de loin ! Et les droits que nous avons aujourd’hui ont été obtenus par la sueur, le sang et un travail de militance et de veille perpétuels.
Et si on a l’impression qu’aujourd’hui, on risque moins sa peau à être LGBTIQ+, c’est grâce au travail de nos prédécesseur·euse·*·s militant·e·*·s.
Deux enjeux majeurs de la Pride
Pour moi, la Marche des Fiertés (et la Pride dans son ensemble) a toujours un double enjeu.
D’une part, elle réunit, elle célèbre, elle (s’)affirme, elle fête, elle exulte et crée des espaces où nos existences queers n’ont plus besoin de lutter pour être chéries, reconnues, légitimes et validées. C’est un safe space où nous sommes des milliers, où nous sommes fort·e·s·*, où nous sommes uni·e·s·* et où nous devenons la norme ! C’est un bain d’énergie !
D’autre part, elle prend position, elle revendique, elle lutte, elle se souvient, elle (ré)unit, elle subvertit, elle survit, elle éduque, elle engage et fait vivre nos multiples combats et identités.
C’est une tribune publique, littéralement au milieu de la cité, qui #shakeupgender et qui (ré)affirme que nos existences, nos amours, nos corps sont politiques. C’est une tempête (haute en couleurs) !
Pour moi, une Pride réussie est une Pride qui n’oublie pas que l’on lutte encore aujourd’hui pour (sur)vivre, car tout n’est pas encore rose et rien n’est acquis pour toujours ET en même temps qui célèbre notre beauté, notre résilience, notre joie de vivre et notre fougue.
Le drapeau arc-en-ciel, pour moi, signifie tout ça et aussi qu’on en a bavé, mais qu’on a trouvé la force de se relever et qu’on se tient à présent debout, dans l’adversité pour défendre nos droits.
Ma Marche des Fiertés
Récemment, j’ai eu une discussion avec une mère qui me disait que sa fille (par ailleurs lesbienne) ne voyait pas l’intérêt de faire une Marche des Fiertés “car elle ne voyait pas ce que cela changeait aux choses de voir des mecs gays à moitié nus parader avec des plumes”.
Ce stéréotype médiatique qui la résume uniquement à l’exubérance et à la célébration des corps me fatigue mais montre aussi qu’il est compliqué, lorsque l’on n’en a pas vécu une, de percevoir le côté militant de cet événement… Et pourtant, cette discussion m’a conduite à réfléchir à mes propres motivations d’aller à la Pride.
C’est vrai quoi… Pourquoi je vais aux Prides ?
En apparence et à première vue, je n’ai absolument rien de queer : j’ai une expression de genre plutôt féminine, un passing de femme cisgenre (passing = capacité à être perçu·e·* par autrui dans l'identité de genre ressentie) et un compagnon depuis 8 ans et des paillettes (donc aussi un passing hétéro)…
Le mindblow ne se produit que lorsque je fais ma “licorne du genre” (un outil interactif qui te permet d’identifier les différentes composantes de ton identité). Si je devais me coller des labels, je dirais que je suis :
- une personne intersexuée : je fais partie des personnes dont le corps possède des caractéristiques biologiques ne correspondant pas ou qu’en partie aux catégories binaires employées généralement pour distinguer les corps "femelles" des corps "mâles".
- avec une identité de genre non-binaire : car je ne m’identifie ni en tant que femme, ni en tant qu’homme, car je me sens à l’étroit dans ces deux catégories qui représentent mon identité de façon erronée et réductrice.
- ayant une orientation pan* : cela veut dire que mes amours et mes attirances sexuelles ne sont pas déterminées par le genre ou le sexe des personnes, mais par autre chose… J’ai de la peine à exprimer “quoi”, car ça doit être parce que c’est dur de décrire que j’aime les personnes pour qui elles sont.
- et étant genderfluid : cela veut dire que mon expression de genre varie et allie féminité et masculinité…
Et c’est pour toutes ces identités que je vais à la Marche des Fiertés.
Mais même si j’étais une personne hétérosexuelle, et tout à fait dans les normes, je pense que j’irai à la Marche des Fiertés en tant qu’allié·e, que je soutiendrai les luttes LGBTIQ+ car le monde dans lequel je veux vivre est inclusif de toustes les personnes dans leurs infinie diversité.
Une autre raison de mon engagement, c’est que la qualité et la quantité des avancées dans nos droits s’amenuise au fur et à mesure que l’on “avance” dans l’acronyme LGBTIQ+ et que cela m’est intolérable.
En s’en tenant aux lettres L-B-T-I, en Suisse, une lesbienne en partenariat enregistré dont la compagne décède devient soudain administrativement un homme et n’a pas droit à sa rente de veuve, les personnes bisexuelles et pansexuelles restent encore mal comprises et sujettes à de nombreux stéréotypes et invisibilisation que ce soit au niveau de la communauté queer ou hétéro et en ce qui concerne les personnes transgenres et intersexes, faire reconnaître nos existences est une lutte permanente sans même parler de l’obtention et du respect de nos droits fondamentaux.
Depuis quelques années, je milite en particulier pour la cause des personnes intersexes au sein de l’association que j’ai co-fondée : InterAction Suisse (l’association suisse pour les personnes intersexes et leurs proches)
“The ‘I’ stands for Intersex, not Invisible”
Je rêve d’une communauté LGBTIQ+ unie et qui connaît les problématiques, les luttes et les victoires de chaque communauté représentée dans l’acronyme LGBTIQ+.
Et c’est du travail que de se tenir au courant de ce qu’il se passe (même en étant concerné·e·*), cela nécessite un certain investissement ! Et lorsque l’on souhaite être de bon·ne·*·s allié·e·*·s, il faut d’autant plus prendre l’habitude de s’éduquer soi-même en consultant les ressources produites par les personnes concernées.
L’avantage que nous avons tous·te·*·s à nous unir sous l’acronyme LGBTIQ+ réside, pour moi, dans le fait qu’en s’organisant collectivement, de manière intersectionnelle, nous pouvons mieux et plus efficacement revendiquer des droits communs qui bénéficient à l’ensemble de la communauté.
Revenons un peu sur la définition de l’intersexuation…
Les personnes intersexuées sont des personnes dont le corps possède des caractéristiques biologiques ne correspondant pas ou qu’en partie aux catégories binaires employées généralement pour distinguer les corps "femelles" des corps "mâles".
Les variations intersexes (ou variations du développement sexuel pour reprendre une terminologie médicale) sont saines et ne représentent pas de risque per se pour la santé des personnes qui sont concernées. Ce sont des phénomènes naturels et fréquents chez les humains et chez les animaux. Une variation intersexe peut être repérée in utero, pendant la grossesse, à la naissance, pendant l’enfance, à l’adolescence, à l’âge adulte, lorsque l’on tente d’avoir des enfants ou même passer inaperçue pendant toute sa vie !
Il est important de comprendre que l’intersexuation ne touche pas que les organes génitaux, mais les caractères biologiques sexués de manière plus large, tel que:...
- Génétiques : les chromosomes sexuels (p.ex : XX, XY, XXY, X0) et de nombreux gènes agissant sur le développement sexué.
- Gonadiques : est-ce qu’une personne a des testicules, des ovaires, des ovotestis ? Et est-ce que ceux-ci produisent des hormones ou des gamètes (ovules ou spermatozoïdes)
- Hormonal : est-ce que le corps répond aux hormones (p.ex. de la pilosité ou des seins) ? Est-ce qu’il en produit et en quelle quantité ?
- Appareils reproducteurs : utérus, trompes de Fallope, prostate, canaux séminifères...
- Organes génitaux et voies urinaires : clitoris, gland, prostate, lèvres, urètre...
Une personne intersexuée est donc une personne dont une ou plusieurs de ces caractéristiques ne correspondent pas aux normes médicalement considérées comme typiques pour les corps mâles ou femelles.
Si tu veux en savoir plus ou si tu te demandes si tu es concerné·e·* par une variation intersexe, n’hésite pas à faire le petit quizz “suis-je intersexe” sur notre site d’InterAction Suisse ;-)
Vous pourriez dire : mais alors, si ce n’est pas forcément lié aux organes génitaux, à l’identité de genre, à l’expression de genre, à la sexualité… quel est le lien avec la communauté LGBTQ+ ?
Eh bien… l’intersexophobie est un mélange assez nauséeux et corrosif de sexisme exacerbé, d’homophobie, de transphobie, de biomédecine et de “bonne intentions” mal placées et mal dosées…
Et lorsque l’intersexophobie s’exprime dans les institutions médicales, juridiques et sociales qui s’empêtrent depuis plusieurs décennies dans des systèmes basés sur la binarité et sur l’hétéro-cis-sexisme, cela produit des protocoles médicaux visant à conformer les corps, les sexualités et les identités des personnes intersexué·e·*·s en leur expliquant leur corps comme pathologiques, anormaux, pas suffisamment ci ou ça. Pour faire court, pas valides dans un système qui ne pense que par deux, alors que la réalité biologique est multiple et diverse.
Soudain, cela crée beaucoup de raisons de se sentir comme appartenant à la communauté LGBTQ+ en raison des discriminations qui pèsent sur nos vies et nos corps…
#MakeHistory
C’est pour cela que cette année, pour la première fois en Suisse, une organisation intersexe a participé officiellement à la Marche des fiertés. Et pour moi, c’est un grand événement. On pourrait même s’autoriser un #makehistory #makeherstory #maketheirstory ;-)
Audrey Aegerter (présidente d’InterAction Suisse) a d’ailleurs expliqué pourquoi il est important d’inclure les personnes intersexes dans les luttes militantes et à fortiori aux Prides dans un discours donné sur la scène de la Pride Geneva :
En effet, bien qu’on puisse être intersexe et queer, on peut aussi être intersexe et remplir sans cela toutes les attentes de la société. Mais c’est en me renseignant plus sur les avortements sélectifs, les traitements in utero, les réductions clitoridiennes, les vaginoplasties, les phalloplasties, les gonadectomies et/ou les dilatations vaginales que subissent certains enfants intersexués, les opérations de correction d’hypospadias - et tous sans un consentement libre, éclairé et exprès et surtout sans aucune nécessité médicale que tout a fait sens pour moi.
La source de ces traitements qualifiés comme torture par l’ONU, n’est pas le bien-être de l’enfant, sa santé ou même une vie sexuelle épanouie. Mais le maintien de codes et de normes d’une société cisgenrée, hétérosexuelle et patriarcale. Des codes et des normes qui sont encore les fondements de notre société, de notre médecine et de nos lois. Nous toutes et tous, nous la communauté LGBTIQ, souffrons de ces codes binaires. Ensemble nous sommes plus fortes.
Aujourd’hui, aucun enfant intersexe, dans aucune ville et dans aucun hôpital n’est dans une situation sécure en Suisse. Ça ne veut pas dire que chaque enfant intersexe est opéré - heureusement - mais que les parents doivent faire très attention, à tout moment, de garantir le respect des droits de leur enfant dans un milieu, malheureusement, encore hostile.
Car le milieu médical veut s’assurer que nous, les personnes intersexuées, puissions avoir un rapport hétéro-pénétratif, que nous ayons des organes génitaux conformes aux critères esthétiques sociaux d’“homme” ou de “femme” et qu’à la puberté, nos caractéristiques sexuelles secondaires se développent comme chez nos camarades de classe.
Ces raisons enfreignent les droits fondamentaux d’enfants sains, en plus d’être transphobes et homophobes.
Ces actes, d’une violence sans nom, invisibilisent une diversité humaine aux nom d’une binarité soit-disant naturelle.
Invisibles depuis presque un demi-siècle, nous avons décidé de parler et de nous montrer, car nous sommes là. Les personnes intersexes sont là. Peut-être que vous l’êtes mais ne l’avez pas dit ou que vous ne le savez pas. Peut-être que votre voisin, votre voisine, votre enfant ou celui de la voisine l’est. En effet, d’après l’ONU, 1.7% de la population mondiale est intersexe.
1.7% à échelle Suisse représente la population de la ville de Lausanne ou Berne.
Oui, en Suisse, il y a autant de personnes intersexes que de Lausannois et Lausannoises. Imaginez-vous ça. Comprenez-vous maintenant l’importance de notre présence?
Comprenez-vous maintenant pourquoi on doit montrer qu’on existe?
Est-ce que vous comprenez?
Alors soyons fier·ère·*·s, visibles, uni·e·*·s et surtout battons-nous !
Et n’oubliez pas : on va gagner.
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