Nous vivons dans une société hétéronormée qui définit un rapport sexuel par la pénétration d’un pénis dans un vagin ou la femme devrait être pénétrée et l’homme pénétrant, ce qui définit également la notion de virginité... A vrai dire, ce schéma, appris à l’école durant les cours d’éducation sexuelle ne me convenait pas. Il me faisait même peur au début de l’adolescence.
Tout un parcours…
L’adolescence, c’est pas une période facile, c’est ton corps qui change, le moment où tu cherches ta place, ton identité. Personnellement, ça n’a pas été simple. Dans les vestiaires, ça parlait de tampons, de règles et de relations amoureuses, de premières expériences sexuelles, certaines se moquaient des autres, de leur corps, de leurs vêtements… Et je ne me sentais pas à ma place.
C’est vers 14 ans que j’ai compris que quelque chose « clochait » chez moi. À l’époque, je n’aurais absolument pas mis de guillemets sur le terme « clocher ». C’est à cet âge-là que j’ai eu mes premières règles et que j’ai réalisé, en tentant de mettre un tampon, que j’avais un problème. Ça me faisait une sensation de brûlure, comme une déchirure, très douloureuse. A vrai dire, ça m’a effrayée, alors j’ai évité d’en mettre et j’ai mis cela de côté. Jusqu’au jour où, à l’école, on a eu un test de piscine obligatoire pour les cours de sport. Manque de bol, j’avais mes règles ce jour-là. J’ai alors tenté tant bien que mal de mettre un tampon, mais la douleur était telle que j’ai commencé à faire une chute de pression, effrayée par ce qui m’arrivait et par la douleur. J’ai tenté d’en parler à ma mère, qui n’a pas du tout pris en compte l’état dans lequel j’étais et continuait de répéter « c’est facile de mettre des tampons ». Du coup j’ai laissé tomber et j’ai fini par demander à mon médecin généraliste, non sans gène, une attestation comme quoi j’avais mes règles, afin d’éviter de participer au test. Je me rappelle en avoir discuté avec la doyenne du gymnase, pas du tout à l’aise avec la problématique. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai développé une honte par rapport à cela. Honte de ne pas être comme les autres, honte qu’on le découvre et qu’on se moque de moi. Avec le recul, je pense que divers évènements comme les conflits familiaux, un harcèlement scolaire en plus de ces douleurs n’ont pas du tout aidé mon estime personnelle. Suite à ces évènements, je me suis enfermée dans le silence et la honte par rapport à cela. Je me suis sentie très seule. J’ai alors évité les sorties à la piscine, en trouvant des excuses bidons pour justifier mes absences. Ayant des règles plus fréquentes que la moyenne, ça n’a pas simplifié les choses. J’étais terrorisée à l’idée de prendre un rendez-vous chez un gynécologue, peur qu’on me dise que j’avais une maladie grave, un cancer ou qu’on me dise qu’on devait me faire un contrôle alors que ce n’était juste pas possible. Je pense avec les discours anxiogènes sur les maladies et accouchements difficiles au sein de ma famille ont également orientés mes craintes.
En plus, au gymnase, les discours sur les gynécologues étaient tous très négatifs, les filles parlaient de ceux/celles qui faisaient des contrôles très douloureux ou qui avaient des propos complètement déplacés, jamais les bons. Ainsi j’ai développé une phobie des gynécologues, avec des compétences en matière d’évitement très développées : dès que quelqu’un parlait de règles, de gynéco ou de tampons, soit je partais en courant, soit je changeais de sujet en trouvant soudainement un intérêt incroyable à un détail complètement insignifiant.
Et puis aussi, j’avais honte que quelqu’un le découvre, j’avais peur d’être intime avec quelqu’un, de peur d’un jugement et d’une réaction de rejet, parce que mon corps ne fonctionnait pas dans une norme. Alors j’ai décidé, dans ma vision pessimiste et sûrement dépressive de l’époque, d’enterrer ma vie sexuelle – et selon mes croyances hétéronormées et réductrices de l’époque - ma vie amoureuse à 15 ans à peine. J’avais également peur d’avoir une vie sexuelle active, car plus à risque d’attraper des IST et imaginant ne pouvoir en guérir sans contrôle interne.
Toutes ces croyances à la fois limitantes et erronées sur la sexualité, sur mon corps et sur moi-même ne m’ont pas aidées. Je suis restée plusieurs années dans le déni et dans la peur de ce que j’avais (qui pourtant prenait pas mal de place).
Il m’a fallu du temps pour déconstruire mes croyances comme quoi on me verrait comme une personne « pas fonctionnelle », un « objet cassé ». Dans ma tête, j’étais persuadée que personne ne voudrait de moi, car je voyais la sexualité dans une vision hétéronormée et forcément pénétrative, comme base des relations de couple.
Il m’a fallu du temps et du travail sur moi pour sortir de mes dénis, commencer à m’écouter, parce qu’à vrai dire, ce n’était pas le seul déni dans lequel j’étais. Quelques années plus tard, j’ai fait mon coming-out et j’ai décidé d’affronter mes vieux démons et de prendre rendez-vous – non sans craintes – avec un gynécologue. Je me souviens qu’au premier rendez-vous, je lui ai demandé de m’ausculter avec un appareil pour les femmes enceintes dont j’ai oublié le nom, qui permet de voir l’intérieur du ventre sans osculation interne, afin de vérifier que je n’avais pas de kystes cancéreux - bien que ce contrôle n’ait pas été nécessaire du tout. J’étais tiraillée entre la crainte qu’il me prenne pour une folle et le besoin d’être rassurée. Heureusement il a été super compréhensif et je ne me suis pas sentie jugée. Quelques mois plus tard, je lui ai demandé de me faire un contrôle interne afin de vérifier si tout allait bien, mais cela a été impossible, ce qui m’a laissé dans une grande frustration… J’avais enfin dépassé ma peur et ça ne fonctionnait toujours pas !
Ce dernier m’a alors redirigé chez une sexologue qui m’a alors permis de mettre un nom sur ce que j’avais : une vulvodynie.
Ça a été un véritable soulagement. J’avais enfin un nom qui expliquait ce que je vivais, qui me permettait de l’expliquer aux autres et qui, quelque part, validait ce que j’avais. Je n’étais plus « anormale », ce n’était pas une maladie grave et mieux encore : je n’étais plus seule. J’ai alors osé faire des recherches sur internet (ce que je n’osais pas faire à l’époque de peur de tomber sur des noms de maladies affreuses) et j’ai découvert des témoignages de personnes qui disaient en avoir guéri et même avoir eu des enfants. Ce diagnostic m’a libérée. Il m’a aidé à m’assumer, à ne plus avoir honte de mon corps et à réaliser qu’il y avait en fait beaucoup de personnes dans une situation similaire, bien que le sujet reste invisible dans la société.
J’ai alors commencé tout un traitement. J’avais au départ, pratiquement aucun espoir de guérison. Et en fait, ça m’a beaucoup aidé. J’ai finalement pu faire mon premier contrôle gynécologique interne, non sans douleurs, mais j’ai pu le faire quand même, ce qui m’a grandement rassurée sur mes craintes de maladies. Et finalement, hormis cette douleur, mon corps fonctionne très bien.
Mais c’est quoi en fait la vulvodynie ?
Avant, on appelait ça une vulvovestibulite. Ça se diagnostique à l’aide d’un simple coton-tige en faisant une légère pression autour du vestibule.
Il ne faut pas la confondre avec le vaginisme qui est une contraction involontaire, répétée et qui persiste, des muscles du périnée qui entourent le vagin, et qui fait aussi mal. La vulvodynie c’est une douleur vulvaire chronique, sans lésion visible pertinente. La sensation ressemble généralement à une brûlure lors d’un contact ou de l’insertion d’un tampon /speculum/pénis/ ou autre. Je l’ai appris plus tard, mais elle touche entre 14 à 34% des jeunes femmes, et peut également toucher des femmes plus âgées. Je n’ai malheureusement pas trouvé de statistique évoquant les personnes trans*. Une chose est sûre, c’est une douleur encore trop taboue.
Certains facteurs peuvent être associés à son développement ou à sa maintenance, comme par exemple des prédispositions génétiques, une zone trop innervée, des muscles pelviens trop toniques, des facteurs hormonaux ou psychosomatiques. D’autres facteurs, comme par exemple, le soutien du/de la/des partenaire⋅s peuvent aider à la guérison. De nombreuses recherches restent encore à faire sur le sujet, toutefois, un consensus a été pris par les médecins afin de définir les vulvodynies. En résumé, lorsque tout élément du tableau de gauche est écarté, on diagnostique une vulvodynie.
Les personnes qui vivent avec ces douleurs ont souvent de longs parcours médicaux, avec parfois beaucoup de temps avant d’être diagnostiqué et également beaucoup de temps de prise en charge (pouvant aller de 4-6 mois à pas de guérison). Les personnes qui vivent cela se sentent parfois très seule, car, vu que cela touche à l’intime, c’est très peu évoqué dans la société. Une des difficultés étant de sortir du cercle vicieux : douleur → crispation → crainte de la douleur → crispation → douleur. Heureusement, de nombreux traitements sont possibles, allant de la physiothérapie, l’ostéopathie, la psychothérapie, la relaxation, l’hypnose, etc. Il existe également des crèmes anesthésiantes et parfois même des opérations pour les cas les plus extrêmes mais le résultat n’est pas garanti et peut engendrer des douleurs à d’autres endroits.
Avec le recul, j’ai décidé de réaliser un documentaire sur le sujet, afin de visibiliser cette thématique encore malheureusement sous-diagnostiquée. Je veux leur donner la parole, montrer les parcours variés et les difficultés que ça peut engendrer. En discutant avec des professionnels et des patientes, je me suis rendue compte que malgré les parcours parfois très variés, certains éléments sont communs. La peur du rejet du/de la/des partenaire⋅s, le découragement, voire même désespoir face à une guérison, la culpabilité et le silence. Bien évidemment, chaque parcours est unique, et le mien est loin d’être exhaustif. Certaines personnes ont plutôt des difficultés relationnelles, d’autres médicales, personnellement ça a été plus psychologiques. Ces douleurs sont encore peu connues des médecins, c’est pourquoi de nombreuses personnes passent par des mois voire des années d’errance médicale et/ou erreurs de diagnostiques, comme par exemple l’annonce d’un cancer de la vessie. À vrai dire, 52% des personnes vivant avec une vulvodynie n’ont jamais reçu un diagnostique formel. En plus de générer une baisse d’estime de soi, une perte de confiance vis-à-vis des médecins et un découragement, ces douleurs chroniques peuvent parfois générer des inquiétudes. Le manque d’information sur le sujet génère parfois des commentaires déplacés, voir culpabilisateurs de la part des médecins/partenaires/proches et peut rendre les choses plus difficiles. Il est grand temps que les gynécologues s’informent sur ces thématiques (et pas que des femmes). De plus, de nombreux mythes sont à casser : contrairement aux idées reçues, une douleur sexuelle – quelle qu’elle soit – n’est pas normale, la douleur lors d’un rapport n’est pas due à un « manque d’envie » mais peut être à des facteurs externes comme une lubrification insuffisante, ces douleurs chroniques ne sont pas dues à une « sexualité débridée » et qu’il n’y a pas de raison de culpabiliser vis-à-vis de cela, la sexualité n’est pas réduite à un rapport ci-hétéro-normatif forcément pénétratif mais peut être beaucoup plus créatif et la sexualité n’est pas forcément le socle d’une relation amoureuse (ça dépend des relations/personnes/ etc).
Je pense que l’éducation sexuelle a un rôle important à jouer là-dessus, sur la connaissance de fonctionnement des vulves/vagins, la valorisation du désir féminin* et le décloisonnement des normes de genre/sexuelles. Je sais qu’à titre personnel, si j’avais été informée de tout cela plus tôt, je me serais sentie beaucoup mieux avec moi-même, j’aurais déconstruit les discours dominants plus rapidement et surtout, je me serais sentie beaucoup moins seule à l’époque.
Aujourd’hui, je suis beaucoup plus sereine avec ces questions. J’ai appris à moins me juger, à m’accepter. Ma vie sexuelle et amoureuse se portent bien, je suis quasiment guérie et j’ai finalement intégré le fait que mon corps n’est pas anormal, même s’il ne fonctionne pas dans une norme, et ça, mine de rien, ça libère. Ça ne fait pas de moi quelqu’un ayant moins de valeur et ce n’est pas un problème en soi, du moins plus à mes yeux.
Finalement, les douleurs génitales sont beaucoup plus fréquentes qu’on l’imagine et ce, peu importe l’anatomie de la personne. Et vu que ça touche à l’intime, les gens n’osent pas en parler et s’enferment dans le silence. Ça peut paraître niais comme phrase, mais la parole, ça libère. Le problème, c’est parfois plus les tabous associés, que la douleur en elle-même. Or, chaque corps est différent, chaque personne est différente, alors finalement, prenons soin de nous, soyons fier⋅e⋅s de nos différences et de nos corps, peu importe leur fonctionnement ou leur forme.
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Médecin spécialisées sur la thématique en Suisse Romande :
Vaud : Dre. Sandra Fornage - Dre. Jacot-Guillermoz
Genève : Dre. Leen Aerts
Fribourg : Dr Stephan Gerber
Liste de gynécologues safe en Suisse Romande
Association française spécialisée sur le sujet
Articles cités dans le texte :
Sophie Bergeron, Serena Corsini-Munt, Leen Aerts, Kate Rancourt, Natalie O. Rosen : « Female Sexual Pain Disorders: a Review of the Literature on Etiology and Treatment »
Christophe Perruchoud - Manuel Pratique d’Algologie – Prise en charge de la douleur chronique – voir le chapitre 16 : les vulvodynies, écrit par Martine Jacot-Guillarmod
Consensus médical sur les vulvodynies
Stephane Gerber, « Vulvodynies et vulvovestibulites : la démarche diagnostique est toujours nécessaire ! » Revue Medicale Suisse, 2004; volume 0. 24167.
Si tu connais d’autres spécialistes/articles qui n’ont pas été cités ici ou si tu vis une situation similaire et que tu as envie de témoigner dans le documentaire, n’hésite pas à me contacter via l’équipe de Be You Network !