Le 14 juin 2019 a eu lieu la grève féministe, dans toute la Suisse. Les opinions sur cette grève et son utilité ont beaucoup divergé. Il y avait celles et ceux qui étaient pour parce les revendications de la grève étaient en adéquation avec leurs idées ; il y avait celles et ceux qui étaient pour parce que c’est normal qu’on soit toutes et tous payé·e·s de manière égale, mais qui ne se sont pas spécialement renseigné·e·s sur les autres revendications ; il y avait celles et ceux qui étaient contre et qui avaient des arguments ; il y avait celles et ceux qui étaient contre uniquement parce que c’était une grève féministe ; et, enfin, il y avait celles et ceux qui n’en avait pas grand-chose à faire ou qui ne se sentaient pas réellement concerné·e·s.
Quel que soit notre avis, on a toutes et tous beaucoup entendu parler de cette grève et du fait qu’elle concernait le droit à un salaire égal pour un travail égal, mais on a peut-être eu tendance à oublier qu’elle ne concernait pas uniquement la place des femmes dans le domaine du travail (qu’il soit dans une entreprise ou à la maison), mais aussi toutes les inégalités de genre.
Historique : la grève des femmes de 1991
Le 14 juin 1991 a eu lieu la grève des femmes partout en Suisse, qui avait réuni plus de 500'000 femmes. Cette date avait été choisie car, le 14 juin 1981, une votation populaire concernant l’égalité homme-femme avait été acceptée :
« L’homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l’égalité, en particulier dans les domaines de la famille, de l’instruction et du travail. Les hommes et les femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. »
La date du 14 juin a ainsi été choisie pour l’anniversaire de l’inscription de cet article dans la Constitution fédérale, afin de demander son application concrète (10 ans après, effectivement ça pourrait être bien).
Le manifeste du 14 juin 1991 exprime 9 revendications pour la grève (essayez d’en retenir quelques unes, ce sera important pour la suite) :
- Application de la loi du 14 juin 1981
- Égalité salariale
- Protection contre le harcèlement sexuel sur les lieux de travail
- Création de possibilités de formation, de perfectionnement, de recyclage du travail et de promotion professionnelle
- Interdiction du travail de nuit et du dimanche des femmes et des hommes
- Création de crèches et de systèmes de garde d'enfant à des prix accessibles
- Fin des discriminations des femmes dans les assurances et les prestations sociales (AVS, congé-maternité, congé parental, etc.)
- Partage égal des tâches familiales entre les femmes et les hommes
- Respect des femmes dans la société notamment la possibilité de ne pas être exposées aux abus sexuels et à la violence
(… C’est marrant ça me rappelle vaguement des problématiques pour lesquelles on a marché il y a quelques jours.)
La grève de 1991 a ainsi été perçue comme un accélérateur de l’application législative de l’article cité plus haut. Enfin, « accélérateur » c’est vite dit, sachant que l’application a été faite en 1996. Il aura donc quand même fallu 5 ans. Aurait-on essayé de coller au stéréotype selon lequel les Suisses·esses sont lent·e·s ? Cette explication me paraît être la plus plausible, sinon qu’est-ce que ça pourrait être ? Que tout le monde se fout de l’égalité ? 🙃
Mais alors, pourquoi refaire une grève 28 ans plus tard ?
Parce que malgré les revendications de la grève de 1991 et l’application de l’article constitutionnel, l’égalité est encore loin d’être atteinte et certaines revendications sont encore d’actualité. Je sais, j’enfonce des portes ouvertes, mais je pense qu’un petit rappel ne fera de mal à personne, puisque j’entends encore dire régulièrement que « oh ça va, y’a quand même plein de choses qui ont été faites hein, à part les salaires vous l’avez votre égalité ».
Alors, penchons-nous un peu plus sur les revendications de la grève féministe de 2019 :
« Le 14 juin 2019, nous nous mettrons en grève sur nos lieux de travail, dans nos foyers et nous occuperons l’espace public :
- Parce que nous en avons assez des inégalités salariales et des discriminations dans le monde du travail.
- Parce que nous voulons des rentes qui nous permettent de vivre dignement.
- Parce que nous voulons que le travail domestique, éducatif et de soins, ainsi que la charge mentale soient reconnu·e·s et partagé·e·s.
- Parce que nous nous épuisons à travailler, nous voulons réduire le temps de travail.
- Parce que le travail éducatif et de soins doit être une préoccupation collective.
- Parce que nous revendiquons la liberté de nos choix en matière de sexualité et d’identité de genre.
- Parce que notre corps nous appartient, nous exigeons d’être respectées et libres de nos choix.
- Parce que nous refusons la violence sexiste, homophobe et transphobe, nous restons debout !
- Parce que nous voulons que la honte change de camp.
- Parce que lorsque nous venons d’ailleurs, nous vivons de multiples discriminations.
- Parce que le droit d’asile est un droit fondamental, nous demandons le droit de rester, lorsque nos vies sont en danger.
- Parce que l’école est le reflet de la société patriarcale, elle renforce les divisions et les hiérarchies fondées sur le sexe.
- Parce que nous voulons des cours d’éducation sexuelle qui parlent de notre corps, du plaisir et de la diversité.
- Parce que les espaces relationnels doivent devenir des lieux d’échange et de respect réciproque.
- Parce que les institutions ont été conçues sur un modèle patriarcal et de classe dans lequel nous n’apparaissons qu’en incise.
- Parce que nous, actrices culturelles, sommes trop souvent peu considérées et reconnues.
- Parce que nous vivons dans une société qui véhicule des représentations stéréotypées de « la femme ».
- Parce que nous sommes solidaires avec les femmes du monde entier.
- Parce que nous voulons vivre dans une société solidaire sans racisme, sans sexisme et sans homophobie et transphobie. »
Je t’invite à lire ici le détail de chaque revendication !
C’est triste de voir qu’une grande partie des revendications de 1991 se retrouvent à nouveau comme étant des problématiques en 2019. En 28 ans, on a avancé à pas de fourmis, bien que beaucoup aient encore l’impression que l’on a acquis tellement de choses. Il y a d’ailleurs 10 revendications de plus, car en 30 ans l’environnement social de nos sociétés a évolué et que les mentalités aussi. On retrouve dans ces revendications un aspect beaucoup plus inclusif et intersectionnel, ce qui est primordial.
Mon expérience de la grève
Personnellement, lorsqu’il y a quelques mois j’ai commencé à entendre parler de la grève, je n’étais pas particulièrement emballée à l’idée d’y participer. Pour être tout à fait honnête, je ne m’étais pas vraiment renseignée, j’en avais brièvement entendu parler, je n’avais pas lu toutes les revendications demandées et je ne me rendais pas non plus compte de l’ampleur que l’événement allait prendre. Je pensais que cette grève retomberait comme un soufflé parce que les gens ne joueraient pas le jeu.
A quelques semaines de la grève, j’ai commencé à beaucoup en entendre parler. Je voyais des personnes qui portaient des badges de la grève, je voyais sur différents groupes Facebook « et vous vous en pensez quoi de cette grève, vous allez la faire ? » et les gens autour de moi ont commencé à se poser la question de leur participation ou de l’utilité de cette grève féministe. J’ai ainsi commencé à me sentir beaucoup plus concernée, plus impliquée aussi, parce que peu à peu, un sentiment d’appartenance à quelque chose de grand a commencé à se faire ressentir.
Une semaine avant l’événement, je me réjouissais de voir à quoi allaient ressembler les différentes activités, le rassemblement sur la plaine de Plainpalais et la marche. J’ai finalement pris conscience que notre petit pays, d’habitude sans histoires, s’apprêtait à vivre un événement mémorable, dont on parlerait encore dans 30 ans (pour dire que ce serait un réel accélérateur pour atteindre l’égalité, si possible).
Le 13 juin, la veille, je me suis ruée dans plusieurs magasins pour me trouver un habit violet (le violet n’étant clairement pas ma couleur, je n’en avais pas sous la main 🤷). J’arborais fièrement mon badge à la ceinture, ne pouvant attendre davantage d’être le lendemain. Mon enthousiasme ne cessait d’augmenter.
Et arriva, enfin, le Jour-J. La première chose que j’ai vue en me levant le 14 juin, c’est le temps. Il faisait gris, il pleuvait et il avait l’air de faire extrêmement froid. Je l’ai presque mal pris : comment voulez-vous qu’on s’en sorte si même le temps est contre nous ? La première chose à laquelle j’ai pensé, c’était qu’il y aurait moins de monde s’il pleuvait et que cette action aurait ainsi une moins bonne portée. Et puis au final, je me suis dit que c’était une représentation parfaite de la lutte pour l’égalité : dès lors qu’on essaie de se battre pour une cause, on fait face à des difficultés ; le temps n’était qu’une difficulté de plus.
Tout au long de la journée, il y a eu des actions de la part de plusieurs collectifs. Des événements ont notamment été proposés par les grévistes des Hautes-Écoles, du secondaire II, les « vieilles dames indignes et indignées », un groupe international, les femmes migrantes, la culture genevoise, les différents syndicats, une chorale et différents sous-groupes en fonction des quartiers.
Pour ma part, la matinée, je suis restée tranquille, parce qu’en plus de faire une grève collective plus tard, j’avais envie de faire une « grève personnelle », lors de laquelle je faisais simplement ce qui me faisait plaisir.
Et puis, en début d’après-midi, je me suis habillée en violet, j’ai remis mon badge, et je suis partie voir à quoi ressemblait cette grève dont on avait tant entendu parler. Au départ, j’étais la seule en violet et je me suis sentie très seule. J’avais presque peur de ce que les autres allaient penser. Je me sentais appartenir à une minorité (une féministe, gréviste qui plus est !) et je n’étais donc pas très à l’aise.
Je suis d’abord allée à Plan-les-Ouates, où la Place des Aviateurs a été renommée la place des Aviatrices. L’ambiance était légère et bienveillante. Il y avait à manger, les gens discutaient entre eux·elles et ils·elles étaient habillé·e·s en violet. J’ai senti une pointe d’émotion en voyant ça.
C’était tout de même assez calme et je me suis demandé s’il y aurait aussi peu de gens tout le reste de la journée. Je me suis donc dirigée vers Uni Mail, en me disant que le centre-ville serait sans doute plus animé.
A chaque personne habillée en violet que je voyais, je me demandais si elle l’avait fait pour la grève, ou juste parce qu’elle appréciait la couleur. Et puis, parfois, lorsque j’en croisais une, on se souriait timidement, en signe de solidarité.
Et effectivement, plus je me rapprochais du centre, plus je voyais des petites touches violettes, par-ci par-là. A chaque personne habillée en violet que je voyais, je me demandais si elle l’avait fait pour la grève, ou juste parce qu’elle appréciait la couleur. Et puis, parfois, lorsque j’en croisais une, on se souriait timidement, en signe de solidarité.
J’arrive ainsi à Uni Mail, remplie de personnes qui créaient des pancartes pour la marche. L’ambiance était assez euphorique et j’ai ressenti une certaine excitation à l’idée de me dire que ça y’est, dans une heure on allait toutes et tous marcher ensemble pour l’égalité.
J’ai ensuite rejoint ma Be You Team, puis nous nous sommes dirigé·e·s sur la Plaine de Plainpalais, pour le rassemblement.
Arrive 15h24. L’heure à laquelle nous ne sommes plus payées, considérant l’inégalité salariale d’en moyenne 20% en Suisse. Les cloches du Temple de Plainpalais retentissent. Nous sommes toutes et tous sur la Plaine, l’ambiance y est conviviale et festive. Je ressens en moi une immense vague d’émotions à la vision de ces centaines (milliers ?) de personnes, c’était tellement émouvant de nous sentir uni·e·s pour la même cause.
Puis, plusieurs collectifs présents ont pris la parole, pendant près d’une heure et demie. Il y avait également des stands, sur lesquels uniquement des hommes étaient présents, en signe de soutien, pendant que les femmes faisaient grève.
Aux environs de 17h00, nous nous sommes tou·te·s rassemblé·e·s pour partir marcher. Il y avait énormément de monde, des pancartes de partout dénonçant les inégalités et une très grande diversité de personnes présentes. Il y avait des femmes, des personnes queer, des hommes, des personnes de diverses orientations sexuelles et affectives, de diverses croyances religieuses, il y avait des enfants, des ados, des jeunes adultes, des personnes plus âgées, des personnes en situation de handicap, valides, ayant divers statuts socio-économiques. C’était tellement beau et tellement touchant.
Ce qui m’a le plus marquée pendant cette marche d’un peu plus de 2h, c’est le sentiment d’appartenance et de sécurité que j’ai ressenti. Je me suis sentie légitime d’être dans la rue, je me suis sentie sereine, sentiments que j’avais jusque-là rarement (jamais ?) connus. J’avais la liberté d’être dans la rue, sans me poser aucune question sur « est-ce qu’on va m’observer, est-ce que je vais avoir droit à des réflexions, est-ce qu’on va me laisser tranquille ? » Je me suis sentie extrêmement bien, pas jugée et surtout très acceptée dans cette foule. Et ce sentiment, c’est quelque chose qui est rare pour les femmes et les personnes faisant partie d’une minorité. La diversité dans laquelle je baignais et le sentiment de solidarité, surtout le sentiment de sororité, m’ont fait me sentir pleinement moi-même et à ma place.
La destination finale de la marche était Les Bastions de l’égalité, événement ayant eu lieu les 14 et 15 juin. L’ambiance était légère et festive, il y avait des stands d’associations féministes, des concerts (et de la bouffe ! 😍). Au programme de ces deux jours : jeux, espaces de dialogues sur les thématiques féministes (éducation, travail, santé, etc.), débats, séances photos devant le Mur des Réformatrices, expositions, et espaces où les violences faites aux femmes étaient abordées.
C’était donc une très belle journée de grève et de solidarité qui, je l’espère, mènera à des mesures concrètes en faveur de l’égalité (et pas dans 5 ans, ni dans 28, please).
Jusque-là, on se dit que tout était parfait : la bonne humeur, la sororité, on a même eu du soleil l’après-midi… Sans oublier l’inclusion ! Bah oui, l’inclusion, c’est bien ce qui importe le plus dans les événements et causes féministes, non ?
Si.
Sauf qu’elle a oublié de se pointer le 14 juin. Mince, vous étiez à deux doigts d’avoir un article joyeux et sans amertume de ma part.
Ce que je n’ai pas aimé… le manque d’inclusion
C’est quand même ironique de participer à un événement qui lutte pour l’égalité, pour que chaque personne ait les mêmes droits, peu importe qui elle est, mais que cet événement ne soit pas inclusif de toutes et tous.
C’est pour moi le gros point négatif de cette journée, surtout que j’ai été extrêmement surprise, car je pensais réellement, et naïvement peut-être, que chacun·e allait être pris·e en compte.
Ce sentiment de malaise a commencé peu après que je sois arrivée sur la Plaine de Plainpalais. Passés les premiers moments d’excitation et d’euphorie parce que je prenais part à cet événement, je me suis vite rendue compte que plusieurs choses ne jouaient pas.
Le nom de la grève et sa focalisation sur les femmes
Tout d’abord, j’ai du mal avec le nom de cette grève : la grève des Femmes*. Le nom grève féministe a également été utilisé par le collectif qui a organisé la grève, mais la communication s’est faite majoritairement sous le nom de « grève des Femmes* » et le nom du collectif de Genève est « Collectif genevois de la Grève des Femmes ».
Pourquoi est-ce que ça me pose problème ? Parce que ça ne reflète en rien la réalité et le terme « femme » est bien trop réducteur à mon goût. Alors certes, en tant que femme cisgenre (mon identité de genre – femme – correspond à mon genre assigné à la naissance), le terme « femme » s’adresse directement à moi. Sauf que je pense à toutes les personnes qui ne s’identifient pas comme femme et qui ont dû se sentir exclues.
Alors, quand même, il y a cette petite étoile après « femme », qui représente, je cite, « *toute personne qui n’est pas un homme cisgenre (soit un homme qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance) ».
…D’accord et à quel moment on s’est dit que c’était une bonne idée de résumer des identités entières, en dehors des stéréotypes de genre, à un simple astérisque ? Cette tentative foireuse d’inclusion est selon moi plus dangereuse que bénéfique. On se donne l’apparence d’inclusion, alors qu’au fond on préfère rester dans nos façons de faire qui sont dépassées et qui restent binaires, sans se demander comment allait être perçu ce terme réducteur. Donc c’est bien de vouloir davantage inclure les femmes dans la société, mais c’est mieux de correctement inclure tout le monde.
Il y a d’ailleurs un article très intéressant de Renversé juste ici sur le terme « Femme* », si tu veux en savoir plus.
Alors je peux comprendre qu’un tel choix ait été fait pour reprendre le nom de la grève de 1991, qui s’appelait grève des femmes. Mais je pense qu’on est aussi en capacité de remettre en question des choses ayant été faites 28 ans auparavant, lorsque nous n’avions pas autant conscience de toutes les diversités de genre.
Ensuite, pour continuer sur le même thème : les slogans officiels de la grève.
9 slogans sur 18 comportaient des mots en rapport avec les femmes : « femmes », « nanas », « chatte », ou encore « clito ». Pas très inclusifs non plus, donc, parce que des personnes peuvent s’identifier au genre féminin sans forcément avoir de chatte ou de clito et des personnes ayant des chattes ou des clitos ne s’identifient pas forcément au genre féminin (je sais que ça peut paraître compliqué au départ, mais si on fait l’effort de s’y intéresser, ça vaut la peine. Le compte Instagram aggressively_trans explique d’ailleurs très bien tout ça !).
Aussi, lors de la marche, il y avait énormément de pancartes qui ne concernaient que les femmes. A la limite, on pourrait se dire que chacun·e se bat pour ce qu’il·elle veut, mais j’ai tout de même trouvé dommage ce manque de diversité.
Je me souviens m’être très souvent demandée comment les personnes non-binaires, queer, transgenres ont vécu ce manque de considération. Hé oui, être allié·e c’est aussi ça : se soucier des choses qui ne nous touchent pas directement, parce qu’on veut que chacun·e puisse se sentir à l’aise, au moins autant que nous. Donc, bien que je n’aie pas été personnellement touchée par cette problématique, elle m’a beaucoup dérangée.
Le manque de mélange
Ensuite, ce qui m’a paru encore une fois manquer de sens, est que chaque collectif était dans son coin, parlait de ses revendications et les membres de ces collectifs restaient entre elles. Deuxième point négatif selon moi, car cette journée rimait avec solidarité et non communauté. Comment pouvons-nous avancer si nous restons chacune et chacun dans notre coin, au lieu de toutes et tous s’accepter sans jugement et s’unir ?
Je sais qu’il y a des problématiques propres à chaque groupe social et je ne les nie pas. Cependant, je pense qu’il y a déjà beaucoup de moments pendant lesquels les personnes concernées peuvent se retrouver pour parler de ces thématiques (et s’il n’y en a pas assez, créons-les !), donc j’ai trouvé ça dommage que pour un événement de cette envergure, qui était censé représenter une certaine forme de sororité, l’accent n’ait pas été davantage mis sur le « nous, toutes ensemble » plutôt que sur le « nous faces à elles, faces à eux et faces à tou·te·s les autres. »
L’exclusion de l’homme cisgenre
Je pense que je ne vais pas me faire des ami·e·s avec cette partie, mais tant pis.
Pendant plusieurs semaines, il a été difficile de savoir si les hommes cisgenres étaient conviés ou non à la grève. Le titre même de la grève nous disait que la grève était celle des « Femmes* », mais rien de plus n’était réellement indiqué, si nous ne creusions pas un peu plus. Il y avait des trucs et astuces pour les hommes, pour nous soutenir lors de la grève, dans lesquels il était écrit « être là en soutien et non pas au centre de l’action. Le 14 juin est un jour de mobilisation des femmes* et se montrer un homme solidaire c’est leur laisser l’espace pour les têtes de cortège et les prises de paroles ». Ils pouvaient donc être là, du moment qu’ils laissaient la place nécessaire aux principales concernées, ce qui est entièrement normal.
Jusque-là tout va bien. Ce que j’ai moins aimé en revanche, c’est à nouveau le terme « Femmes* », qui englobe absolument tout le monde, sauf les hommes cisgenres. Pourquoi ? Parce qu’il englobe « les personnes qui subissent le patriarcat ». Déjà là, je ne suis pas d’accord, parce que je pense que chaque personne vivant dans ce système en est victime. Certes, les hommes cisgenres ont une multitude de privilèges que nous autres, fond de tiroir, n’avons pas. En revanche, je ne suis pas d’accord de dire qu’ils ne sont pour autant pas victimes du patriarcat, parce que c’est faux. Il n’y a pas de sexisme anti-hommes, il n’y a pas un système entier qui discrimine les hommes, juste parce qu’ils sont des hommes, on est bien d’accord. Il est de leur devoir de se renseigner et de se déconstruire, pour user de leurs privilèges afin d’inclure plus de personnes. Mais ce n’est pas parce que l’homme peut être oppresseur, qu’il ne peut pas être victime.
C’est à nouveau un souci de terme me direz-vous. Sauf que j’ai été témoin d’une scène en rapport avec tout ça qui m’a, à nouveau, énormément touchée.
Nous étions donc en train de marcher, il faisait beau, l’ambiance était agréable, il ne nous manquait qu’une chose : la musique. Nous avons donc remonté la marche en recherche de son. Nous étions plusieurs femmes et personnes non-binaires, ainsi qu’un homme cisgenre. Tout allait bien et nous avons fini par nous retrouver dans un coin avec de la musique, entouré·e·s de personnes masquées (ça aurait pu nous mettre la puce à l’oreille, je vous l’accorde). A un moment, j’entends une femme (ou personne non-binaire, je n’ai pas demandé) dire au seul homme présent avec nous « par contre ici c’est le bloc révolutionnaire, donc c’est sans homme cisgenre ». J’ai été extrêmement choquée de la manière dont elle/iel lui a dit ça, car je ne m’attendais absolument pas à ce qu’un tel événement arrive lors de cette marche féministe, qui selon moi avait pour but d’inclure. Il n’y a eu aucune discussion possible, sans parler du manque de considération assez clair : et s’il n’avait pas été cisgenre ? L’exclusion était déjà assez violente, je n’ose même pas imaginer si en plus cet homme n’avait pas été cis.
Je me suis par la suite renseignée sur ce bloc révolutionnaire, le Pink Bloc, qui effectivement avait communiqué avant la grève en disant que leur bloc serait en non-mixité choisie sans mec cisgenre et ce dès le début de l’après-midi à Plainpalais. Je comprends complètement la logique derrière la non-mixité choisie et je ne vais pas remettre ça en question. Je pense simplement qu’il a été injuste d’exclure quelqu’un en se basant sur son groupe social d’appartenance (tiens… ne serait-ce pas ce qu’on essayait justement de combattre lors de cette grève ? 🤔), surtout lorsque la personne était déjà impliquée. Que certains groupes décident de ne pas inclure certaines personnes lors des activités et échanges, c’est une chose. Mais décréter qu’une partie de la marche est interdite à un groupe de personne, ça je ne comprends pas. Et puis je pense qu’on arrive quand même à se douter que si la personne est présente à la marche et qu’elle ne fait rien pour attirer l’attention sur elle plutôt que sur la cause, c’est qu’elle est un·e allié·e.
Combo racisme & classisme
Donc après l’exclusion des personnes qui ne sont pas des femmes, pourquoi ne pas aussi exclure encore un peu plus. Lorsque j’étais sur la plaine de Plainpalais au milieu de tous ces collectifs, les Nettoyeuses, présentes avec leur aspirateur, ont fait part de leurs revendications, elles qui aspirent à de meilleures conditions de travail (oui, je devrais me reconvertir dans l’humour). Tout allait donc pour le mieux, jusqu’à ce que j’entende arriver pas loin de moi 3 femmes, dont l’une a délicatement dit « Nettoyeuses en grève, ouais espagnoles en grève quoi ». Les trois ont commencé à rire et l’une d’entre elles a répondu « oh arrête on va pas nous aimer si on nous entend », tout en continuant à rire. En même temps, pourquoi s’arrêter, c’est tellement drôle de rabaisser les autres.
Mon bilan : j’en veux plus
Au final, qu’est-ce que j’ai réellement pensé de la grève, dans sa totalité ?
Pour commencer, je suis reconnaissante que des personnes aient mis autant de temps et d’énergie pour la mise en place de cette journée et je suis extrêmement fière d’y avoir participé. Je pense que cette journée restera dans la mémoire de beaucoup et j’espère sincèrement qu’elle aura un réel impact par la suite.
J’y ai vécu et ressenti des choses incroyables, j’aurais simplement aimé que tout le monde soit aussi bien accueilli·e et inclus·e que moi.
Alors, finalement, c’est très simple : j’en veux plus. C’était immense, c’était incroyable, ça a fait du bruit, okay. Mais j’en veux tellement plus que ça ! Je veux réussir à atteindre l’égalité, je veux qu’il y ait davantage d’actions de ce genre, davantage d’engagement de la part d’encore plus de personnes et, surtout, vous l’aurez compris, davantage d’inclusion.
Ce qui m’a le plus dérangée, c’est l’hypocrisie. Il y avait une multitude de mouvements féministes (et pas féministes d’ailleurs) présents lors de cette grève et je ne me suis pas reconnue dans une grande majorité. Il y avait selon moi un continuum de tous ces mouvements, allant du « je suis là pour moi parce que je veux être payée autant qu’un homme, mais le reste et les autres je m’en fous » au « j’exclus un groupe social sous couvert d’inclusion ». Toutes ces agressions/discriminations/exclusions dont j’ai été témoin pendant la grève m’ont énormément touchée (en même temps je suis une femme, normal que je sois sensible 😉) et mon féminisme ne ressemble en rien à tout ça. Je suis triste d’avoir partagé cette journée avec des gens fermé·e·s d’esprit, des gens trop extrêmes (à mon sens, mais c’est discutable), des gens qui n’en avaient rien à faire des luttes féministes mais qui voulaient juste être payées plus, des gens présent·e·s uniquement parce que c’est fun et j’en passe.
J’étais présente pour lutter pour les mêmes droits pour toutes et tous. Pour toute-x-s. Peu importe qui l’on est, peu importe d’où l’on vient. Je ne veux plus d’exclusion, je veux que chacun·e puisse être bienvenu·e et à l’aise partout, je veux que l’on soit en capacité de pardonner celles et ceux qui ont fait des erreurs et je veux surtout qu’ils·elles se remettent en question et ne fassent plus les mêmes erreurs. Je veux qu’il y ait des actes après cette grève, je veux que lors du bilan national à Berne le 24 juin il y ait de vraies décisions qui soient prises et de vraies actions qui soient mises en place en faveur de l’égalité.
Je pense que cette grève était essentielle et je n’ai aucun regret d’y avoir participé, au contraire. Mais je veux un réel changement des mentalités quant à l’inclusion. Parce que ce qui m’a le plus transportée durant cette journée, c’est la diversité et la solidarité entre toutes ces personnes qui avaient l’air tellement différentes, mais qui se battaient pour la même chose.